Le gouvernement espagnol a annoncé avoir mis « définitivement en pause » l’acquisition des F-35 Lightning II de Lockheed Martin, alors même qu’une ligne budgétaire de 6,25 milliards d’euros figurait au budget 2023 pour remplacer les Harrier AV-8B de la Marine (Armada Española) et les derniers F-18 de l’armée de l’air et de l’espace (Ejército del Aire y del Espacio). Cette décision s’inscrit dans un plan « industriel et technologique pour la sécurité et la défense » de 10,5 milliards présenté le 23 avril dernier par le premier ministre Pedro Sánchez, avec pour objectif de porter à 2 % du PIB la dépense militaire et d’atteindre 33 milliards annuels en 2025.
Le gouvernement espagnol choisit l’autonomie stratégique
Près de 85 % de ces crédits supplémentaires seront fléchés vers des programmes et industriels européens, un choix jugé incompatible avec l’achat d’un avion « 100 % américain ». Le ministère de la Défense avait émis une RFI (demande d’information) pour un possible lot de 50 F-35, relayée par Janes, mais ces contacts préliminaires ont été suspendus sine die. L’Espagne entend ainsi renforcer ses chaînes de production locales et réduire sa dépendance technologique à Washington selon El País.
Le plan se déploie selon quatre axes majeurs : 35 % des fonds pour l’amélioration des conditions de vie et la formation des militaires, ainsi que le renouvellement des matériels ; 3,26 milliards pour un « bouclier numérique » (satellites, radars, communications chiffrées, cyberdéfense, cloud, 5G, IA, quantique) ; 1,75 milliard pour des capacités duales de secours et de résilience climatique (hélicoptères, avions-ravitailleurs, véhicules de franchissement) ; enfin, moins de 4 % pour renforcer la sécurité de 3 000 soldats engagés dans 16 missions de maintien de la paix.
Le Juan Carlos I cantonné aux hélicoptères ?

La Marine, confrontée au retrait des Harrier AV-8B prévu en 2030 et à l’impossibilité de proroger leur service faute de pièces détachées, perd l’unique successeur viable qu’était le F-35B STOVL (capacité de décollage court-atterrissage vertical). Privé de tout avion de combat naval à voilure fixe, le Juan Carlos I ne pourra plus embarquer que des hélicoptères. Navantia planche sur la faisabilité d’un futur porte-avions à piste longue et brin d’arrêt, compatible avec le Rafale M ou l’Eurofighter, mais ce programme n’entrera pas en service avant une décennie, creusant un vide capacitaire.
Dans les airs, l’Ejército del Aire y del Espacio avait envisagé le F-35A comme solution transitoire jusqu’au SCAF (Système de Combat Aérien du Futur) européen, attendu vers 2040-45. Le général Francisco Braco a écarté un flotte mono-type Eurofighter, préférant diversifier les risques, mais a reconnu que, sans chasseurs furtifs, l’Espagne devra « faire avec du quatrième génération » pendant de longues années. Pour pallier, Madrid a déjà engagé le programme Halcón I (20 Eurofighter pour 2 milliards) et Halcón II (25 appareils pour 4,6 milliards), qui porteront la flotte à 115 Typhoon d’ici 2035.
Politiquement, ce choix s’est noué au sommet de l’OTAN à La Haye, où Sánchez a refusé de monter à 5 % du PIB, provoquant la colère de Donald Trump et ses menaces de surtaxes. Madrid réplique que l’industrie européenne n’est pas prête à absorber une telle hausse sans sacrifier son autonomie stratégique ; paradoxe, une douzaine de pays de l’UE ont déjà commandé des F-35, lesquels risquent de devenir le standard de l’Alliance.

Rafale F5 : l’alternative pragmatique
Reste l’équation technologique en suspens : Lockheed Martin promet de produire les F-35 en Italie pour « européaniser » l’appareil, mais les restrictions d’accès aux technologies critiques, le risque de veto américain en cas de conflit, le coût des infrastructures de maintenance et les hausses unilatérales de prix – récemment épinglées en Suisse ou en Allemagne – viennent brouiller ce projet. Face à ces incertitudes et pour ne pas laisser planer le doute sur sa capacité aéronavale, l’Espagne pourrait explorer dès aujourd’hui une alternative plus pragmatique : le Rafale F5 de Dassault.
Cette dernière évolution du chasseur français, déjà adoptée par l’Armée de l’air et de l’Espace pour remplacer ses appareils les plus anciens, offre un radar RBE2-XG à antenne active, une liaison de données multifonctionnelle et une compatibilité accrue avec des armements furtifs – autant d’atouts pour garder la main d’ici à l’arrivée du SCAF (Système de Combat Aérien du Futur) vers 2040-45. En s’engageant sur le standard F5, Madrid bénéficierait d’une intégration rapide sur le Juan Carlos I, sans les contraintes logistiques ni les restrictions technologiques imposées par Washington. Il s’agirait ainsi de consolider son partenariat industriel avec la France, de diversifier ses sources d’approvisionnement et de préserver, dès les années 2030, une capacité de pointe, tout en continuant de miser sur une Europe de la défense plus souveraine.