Alors que le HMS Venturer a été mis à flot en juin dernier dans le chantier naval de Rosyth, un bref soulagement a gagné les rangs du ministère britannique de la Défense. Il s’agit du premier d’une série de cinq frégates Type 31 promises à la Royal Navy d’ici à 2029. Ce jalon est important : la marine britannique connaît actuellement un creux opérationnel critique, avec un nombre historiquement bas de bâtiments disponibles et une pression stratégique croissante, en mer du Nord, dans l’Atlantique Nord, et dans les eaux asiatiques.
Selon les prévisions officielles, la Royal Navy ne disposera que de sept frégates opérationnelles en 2026, bien en deçà du minimum requis de treize. Cette réalité met à mal la posture britannique au sein de l’OTAN et affaiblit sa crédibilité vis-à-vis de ses alliés nordiques et européens. En parallèle, la revue stratégique de défense (Strategic Defence Review 2025) publiée au printemps, tout en affichant de nouvelles ambitions, peine à masquer les conséquences d’années de sous-investissement, de retards industriels et de réduction continue des effectifs.
Un déclin capacitaire plus politique que budgétaire
Depuis 2022, la Royal Navy a perdu 15 navires majeurs, pour seulement trois gains significatifs. Parmi les pertes : les deux navires de débarquement Albion et Bulwark, plusieurs frégates Type 23, des sous-marins d’attaque, des navires de soutien logistique et de guerre des mines. La logique invoquée est souvent la même : plateformes vieillissantes, effectifs insuffisants, priorisation des programmes futurs. Pourtant, très peu de ces capacités ont été remplacées à court terme, et l’écart capacitaire se creuse.
Cette trajectoire n’est pas le fruit d’une nécessité budgétaire implacable, mais d’un choix politique assumé. Le Royaume-Uni reste une puissance riche, capable de mobiliser des ressources. Mais depuis la fin de la guerre froide, les « dividendes de la paix » ont dicté une baisse continue des commandes navales, tandis que l’accent était mis sur des investissements différés ou à l’horizon lointain. La « réduction comme norme » est devenue une culture.
La Strategic Defence Review 2025 tente de corriger le tir. Le gouvernement y affirme vouloir créer une « Navy hybride » combinant frégates de nouvelle génération, sous-marins de dissuasion et capacités autonomes. Il est notamment prévu de porter le budget de défense à 2,7 % du PIB d’ici 2027 et jusqu’à 3,5 % à l’horizon 2035. Un effort louable sur le papier, mais qui reste suspendu à des arbitrages politiques futurs et à une exécution industrielle incertaine.
La SDR 2025 identifie pourtant très clairement deux priorités : la montée en cadence industrielle et la revalorisation des conditions du personnel. Le document déplore notamment les délais inacceptables de livraison : onze ans pour le HMS Glasgow (Type 26), quatre ans pour le rétrofit d’une frégate Type 23, dix-huit ans pour sept sous-marins Astute. Pour y remédier, le rapport recommande l’embauche de gestionnaires de projet, d’ingénieurs et de fonctionnaires spécialisés dans la conduite de programme. Mais en parallèle, le ministère prévoit de réduire de 10 % les effectifs civils de la défense, ce qui compromet ces objectifs.
Un capital humain et industriel fragilisé à un moment critique
Le cœur du problème reste l’érosion du vivier de compétences : les départs massifs de marins expérimentés, les difficultés de recrutement, et la faible attractivité des carrières. La SDR préconise une revalorisation salariale de 15 à 30 % dans la Royal Fleet Auxiliary pour éviter l’effondrement logistique. Le coût estimé de cette mesure ? 30 millions de livres par an – une somme modeste au regard des enjeux.
Les programmes Type 26 et Type 31 doivent constituer la colonne vertébrale de la flotte de surface à l’horizon 2030. Mais les retards s’accumulent. Initialement prévu pour 2023, le HMS Glasgow (Type 26) n’entrera en service qu’en 2028. Quant au HMS Venturer (Type 31), son déploiement n’est prévu qu’en 2027. Cela laisse un vide opérationnel de plusieurs années. D’ici là, la flotte de Type 23 continuera de s’éroder, avec des coûts de maintenance croissants et une disponibilité réduite.
Surtout, la Royal Navy se retrouve dans une zone de turbulences où chaque retard pourrait avoir des effets systémiques. Comme l’explique NavyLookout, la disparition des Type 23 avant l’arrivée effective des Type 26/31 laisse « zéro marge d’erreur ». À cette complexité s’ajoute la nécessité de former en parallèle des équipages pour deux nouvelles classes de frégates, de gérer la transition vers la dissuasion nucléaire Dreadnought, et de préparer l’arrivée du programme MRSS (Multi-Role Support Ship).
Et les drones dans tout ça ?
La Strategic Defence Review fait une large place aux systèmes autonomes. La Royal Navy entend investir massivement dans les drones navals pour la guerre des mines, la surveillance côtière et la lutte anti-sous-marine. Le document évoque l’intégration de plateformes autonomes au sein du Commando Force Model, et la création de flottes mixtes combinant navires habités et systèmes télé-opérés.
Le navire RFA Proteus, récemment entré en service, incarne ce virage : un navire-mère dédié à la guerre des fonds marins, capable de déployer des drones sous-marins de reconnaissance ou d’intervention. Des tests ont également lieu au large de Plymouth avec des USVs (Uncrewed Surface Vessels) destinés à des missions ISR (renseignement, surveillance, reconnaissance).
Mais là encore, ces capacités émergentes ne compensent pas immédiatement les pertes capacitaires. La guerre des mines, par exemple, reposait jusqu’ici sur une flotte de chasseurs traditionnels – aujourd’hui presque tous désarmés. Les drones, pour efficaces qu’ils soient, nécessitent une doctrine, des infrastructures de soutien, des opérateurs qualifiés… et du temps.
Une crédibilité à restaurer
La SDR 2025 se veut ambitieuse, mais elle reste dépendante d’une exécution sans faille, d’un volontarisme politique durable et d’un changement culturel profond au sein de la chaîne d’acquisition. Dans un contexte où les États-Unis accentuent leur pression sur les alliés européens pour qu’ils « paient leur part », le déclin naval britannique envoie un mauvais signal à Washington comme à ses partenaires du JEF (Joint Expeditionary Force).
La Royal Navy reste un atout stratégique, à condition de ne pas se contenter de promesses différées. Il est encore temps d’inverser la tendance. Mais les prochaines années seront décisives : sans rattrapage rapide, le Royaume-Uni risque de traverser la décennie 2020–2030 avec une flotte affaiblie, une industrie sous tension et une souveraineté maritime entamée.
Et comme le résume avec amertume un lecteur de NavyLookout : « Pas de guerre jusqu’au milieu des années 2030, s’il vous plaît – on espère être prêts d’ici là. »
Photo © Lincoln Holley