L’avionneur toulousain Aura Aero amorce un virage stratégique. Connue pour ses avions électriques et hybrides, la PME annonce officiellement son entrée sur le marché militaire avec ENBATA, un drone MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) de nouvelle génération. L’ambition est claire : proposer une plateforme souveraine, certifiable et à coût maîtrisé.
« Ce n’est pas une réponse opportuniste liée à la guerre en Ukraine, nous confie Jérémy Caussade, CEO et co-fondateur d’Aura Aero. Ce qu’on construit, c’est une base industrielle solide pour livrer aux forces, pas un démonstrateur éphémère. » Développé en réponse à une demande de la Direction générale de l’Armement (DGA), ENBATA s’impose comme une solution intermédiaire entre les petits drones tactiques et les grandes plateformes comme le Reaper ou l’Eurodrone.
Le drone affichera une masse maximale de deux tonnes pour une autonomie de 55 heures et une capacité d’emport allant jusqu’à 1,2 tonne. « On se positionne sur un segment qui n’existait pas : le low cost intelligent, ou ‘low cost high perf’. Il coûtera cinq fois moins qu’un Reaper pour environ la moitié de ses performances. »
Un drone MALE certifiable pour applications duales
La certification EASA (Agence de l’Union européenne pour la sécurité aérienne) d’ENBATA constituera l’un de ses atouts majeurs. « Le fait qu’il soit certifié change tout, analyse le général (2S) Bruno Clermont, conseiller militaire d’Aura Aero. Il pourra être utilisé non seulement par les militaires, mais aussi pour des missions civiles : feux de forêt, surveillance maritime, douanes, Frontex… »
La stratégie d’Aura repose sur ses compétences aéronautiques. « Chez Aura, ils savent faire des avions. Donc ils savent faire des drones. ENBATA est conçu dès l’origine comme un aéronef sans pilote. Ce n’est pas un planeur motorisé transformé, c’est une vraie plateforme aéronautique, avec maîtrise de l’intégration capteurs, avionique, commandes de vol », insiste-t-il.

Une ambition industrielle assumée
Aura Aero ne s’arrête pas à la France. Un partenariat industriel stratégique avec les Émirats arabes unis sera annoncé lors du prochain Salon du Bourget. Il prévoit une production locale du drone, avec des essais en vol sur les infrastructures de test émiraties. « C’est probablement la première vraie coopération industrielle entre un industriel français et un partenaire émirati », souligne Bruno Clermont.
La stratégie est claire : produire en France, mais aussi à l’international, sans jamais transférer la propriété intellectuelle. « Le site industriel qu’on ouvre aux États-Unis, par exemple, sert à produire nos avions ERA (avion de transport régional 19 places hybride-électrique). Mais la propriété industrielle reste chez nous. Pas question d’ouvrir nos brevets », précise Jérémy Caussade.
Cette approche industrielle se veut aussi structurante. « On veut bâtir une verticalité drone en France, avec une supply chain souveraine. Le but, c’est de livrer en 2028. Et pour ça, il faut voler en 2026. Mais le proto ne nous intéresse que comme étape. Ce qui compte, c’est la série. »
« Aura Aero, c’est comme Dassault Aviation : une équipe d’ingénieurs passionnés, souveraine, agile, et avec une vision claire de l’intérêt national », souligne le général (2S) Bruno Clermont.
Une politique drone à repenser
Le général Clermont salue par ailleurs l’évolution récente de la politique drone française. « Sous l’impulsion du ministre des Armées Sébastien Lecornu, la DGA commence à comprendre qu’il ne faut plus spécifier des fiches hallucinantes, mais accompagner les industriels agiles. Delair l’a prouvé : il suffit de regarder ce qui existe déjà, d’acheter, de tester. »
Selon lui, les grands groupes ne sont pas toujours les mieux placés pour ce segment. « Ils ont des coûts de développement colossaux. Il faut laisser les PME, comme Aura Aero, répondre à des besoins concrets avec des produits simples, robustes, certifiables. »
ENBATA est perçu comme un « ticket d’entrée » dans le monde du drone de défense, mais aussi comme le premier maillon d’une future famille de drones. Un projet de drone de très haute altitude (THA) est déjà en gestation, et les équipes planchent également sur le concept de remote carrier, encore peu exploré par les industriels français. Dans cette dynamique d’ambition industrielle et stratégique, Aura Aero vient de réaliser un recrutement de poids en accueillant le général Stéphane Mille, ancien chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace, en tant que conseiller militaire.
Illustration © Aura Aero