L’US Army veut acheter au moins 1 million de drones en deux à trois ans
Difficile de faire plus clair : l’US Army entre dans l’ère des volumes. Dans un entretien avec Reuters, son secrétaire, Daniel Driscoll, fixe un cap simple à dire, ardu à tenir : acheter au moins un million de drones en deux à trois ans, puis maintenir une cadence de plusieurs centaines de milliers, voire de millions, chaque année. L’objectif dépasse l’équipement des unités ; l’armée américaine veut bâtir une filière de masse, capable de soutenir un conflit long, avec des systèmes conçus comme consommables.
Réduire la boucle concevoir-tester-produire
Le virage doctrinal s’affirme : le drone devient une munition. L’US Army délaisse les programmes « exquis », complexes et rares, et mise sur les FPV (First Person View), les quadricoptères armés et les porteurs légers de petites charges. Produire vite, standardiser, remplacer sans états d’âme. Pour y parvenir, elle lance le programme SkyFoundry sous l’égide de l’Army Materiel Command. Objectif : raccourcir la boucle concevoir–tester–produire, sécuriser les briques critiques (moteurs, capteurs, batteries, électroniques), fédérer un réseau de fournisseurs sur le sol américain et attirer des acteurs non traditionnels, y compris du civil (inspection d’infrastructures, livraison, sécurité).
L’US Army simplifie les règles d’achat pour commander plus vite et doter, d’ici fin 2026, les sections de combat de drones d’attaque à bas coût. Sur le terrain, elle multiplie les exercices : intégration interarmées, épreuves tactiques réalistes, apprentissage accéléré des gestes nouveaux. En parallèle, elle teste des défenses peu coûteuses — munitions filet, effets électromagnétiques synchronisés — pour contrer la prolifération d’engins bon marché mais meurtriers.
D’un flux de 50 000 à 1 million
Le défi, c’est la soutenabilité. Passer d’environ 50 000 drones par an à un million implique d’ouvrir des lignes d’assemblage redondantes, d’assurer l’accès aux matériaux critiques, de certifier des sous-ensembles à cadence élevée et d’organiser le soutien d’équipements… destinés à être perdus. S’y ajoutent des arbitrages budgétaires sensibles, un Congrès prompt à défendre ses programmes hérités, et la volonté de répartir la production sur plusieurs sites plutôt que de miser sur une méga-usine unique.
Depuis l’Ukraine, le fond de l’affaire saute aux yeux : l’attrition par drones ne relève plus de l’exception, elle s’impose comme la norme. La supériorité ne se joue plus seulement dans l’aérodynamique ou les algorithmes, mais dans la vitesse d’adaptation et la profondeur de la chaîne de valeur. Si l’US Army tient la promesse du million, l’avantage ira aux armées qui marient mieux le civil et le militaire, acceptent des cycles courts et industrialisent sans sacrifier l’usage. Et la France ? Elle dispose d’atouts, mais doit accélérer : sécuriser moteurs, batteries et électronique, fluidifier les achats, ouvrir grand aux PME et aux usages duals, intensifier l’essai-erreur sur le terrain et massifier drones comme la lutte anti-drones (LAD). Le prochain rapport de force se jouera aussi là, chez nous.
Photo © US Army