Nicolas Lerner (DGSE) : « La Russie prépare idéologiquement une possible intervention militaire » contre l’OTAN
Dans une interview accordée à LCI, le directeur de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), Nicolas Lerner, a averti que la Russie représente une menace sérieuse pour l’Europe. Selon lui, la Russie constitue une menace existentielle pour l’Europe, non seulement par ses actions actuelles, mais aussi par la vision du monde qui guide le Kremlin. Une doctrine fondée sur la peur des démocraties, la nostalgie impériale, et la justification à peine voilée d’une future escalade militaire.
Une logique de confrontation assumée
« Aucun service dans le monde ne peut dire que Vladimir Poutine attaquera tel pays, tel jour. Mais les bases idéologiques d’une intervention militaire sont en train d’être posées », affirme Nicolas Lerner. Pour lui, deux éléments structurent la politique étrangère russe actuelle.
Premier pilier : le récit d’une Russie encerclée, menacée par l’extension des démocraties à ses frontières. Deuxième pilier : un projet de restauration de l’Empire, affiché sans détour par les idéologues proches du pouvoir. « La Russie sera empire ou ne sera pas » : une phrase que l’appareil de renseignement français prend au sérieux.
Ce double discours, selon l’ex-directeur de la DGSI, prépare les esprits – en Russie comme à l’étranger – à légitimer une forme d’agression, y compris contre un pays membre de l’OTAN. Le scénario d’une attaque asymétrique contre un État balte, par exemple, n’est plus théorique. « Ce sont des hypothèses à envisager très sérieusement », avertit-il.
Guerre hybride : la France ciblée
Au-delà du terrain militaire, la Russie mène déjà une guerre d’influence contre la France. Espionnage, désinformation, ingérence : la panoplie est complète. Lerner évoque notamment une opération de contre-espionnage de 2022, au cours de laquelle un haut cadre français de l’industrie a été identifié comme informateur des services russes, rémunéré pendant plus de dix ans – « deux à trois fois le salaire médian par mois ».
Mais le plus préoccupant, selon lui, c’est l’évolution du mode opératoire russe. Désormais, les campagnes numériques sont accompagnées d’actions physiques, menées sur le territoire national par des intermédiaires rémunérés. Des « effecteurs », comme les appelle le directeur de la DGSE, chargés de monter des opérations symboliques ou provocatrices : faux cercueils aux pieds de la Tour Eiffel, étoiles de David taguées, actions sous faux drapeaux…
« Ce ne sont pas des opérations amateurs. Elles traduisent une volonté de désorganiser notre espace informationnel et de miner la confiance dans nos institutions », insiste-t-il.
Ce que confirme le terrain militaire
Face à ces menaces, la DGSE renforce ses outils, y compris dans des domaines longtemps cantonnés à la recherche académique. Nicolas Lerner souligne l’importance du profilage psychologique de dirigeants étrangers, notamment Vladimir Poutine. Sa trajectoire, formée par le KGB, nourrie d’une vision autoritaire du pouvoir, éclaire ses choix actuels : recours à l’intimidation, à la force, à la clandestinité.

Lorsque Vladimir Poutine « inaugure un monument au siège du SVR à la gloire des clandestins sous couverture profonde à l’étranger, et y inscrit Pékin, Paris, Londres ou New York, il assume qu’il a des agents clandestins dormants » et envoie un message clair.
Les propos de Nicolas Lerner entrent en résonance avec ceux du général Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées, qui a qualifié l’offensive russe en Ukraine de « désastre militaire ». Selon lui, la Russie accumule les pertes humaines, les défaites stratégiques, l’isolement diplomatique — mais conserve une capacité de nuisance intacte.
Le général souligne également un point crucial : une victoire politique de la Russie, même après une défaite militaire, reste possible si l’Occident relâche la pression. « Je crains que la Russie ne tienne cinq minutes de plus que nous », dit-il.
C’est là que les deux diagnostics convergent : la menace n’est pas seulement dans ce que la Russie fait aujourd’hui, mais dans ce qu’elle prépare pour demain. Une guerre plus diffuse, plus insidieuse, mais potentiellement bien plus dangereuse.