En Ukraine, le CAESAr tire des obus Rheinmetall et Excalibur
La guerre en Ukraine agit comme un révélateur des limites industrielles européennes. Dans leur rapport parlementaire sur l’artillerie, Jean-Louis Thiériot et Matthieu Bloch rapportent que des canons CAESAr français ont tiré avec succès des obus de 155 mm de fabrication Rheinmetall ainsi que des munitions guidées américaines Excalibur (Raytheon).
Cette flexibilité, forcée par la situation sur le terrain, met en lumière une réalité peu évoquée : « L’interchangeabilité des munitions et des canons de fabrications différentes est un sujet de fond en termes de sécurité et de capacité d’emploi sur le champ de bataille », note l’industriel Eurenco, auditionné par les députés. Si cette adaptation immédiate offre un avantage tactique, elle souligne aussi un déficit stratégique majeur : l’absence de véritable standardisation des munitions au sein des forces de l’OTAN.
Le précédent américain : Excalibur et le CAESAr
La compatibilité entre l’obus Excalibur et le CAESAr n’est pas une surprise complète. En 2022, des essais conduits sur le site du Yuma Proving Ground, en Arizona, avaient permis à un CAESAr français d’atteindre deux cibles situées à plus de 46 kilomètres, un record pour ce type de système. Ces tests, menés en partenariat avec Raytheon Missiles & Defense et l’US Army, visaient déjà à démontrer l’interopérabilité avec des munitions intelligentes standardisées.
Le succès de cette expérimentation ouvrait la voie à une utilisation plus large du CAESAr dans les arsenaux alliés. Mais en Ukraine, cette capacité devient une nécessité opérationnelle pour compenser la consommation massive d’obus et la diversité des sources d’approvisionnement.
Une standardisation en trompe-l’œil
Malgré l’existence du Joint Ballistics Memorandum of Understanding (JB MoU), censé encadrer les charges modulaires au sein de l’OTAN, « aucune réelle standardisation n’existe », déplore Eurenco. Chaque fabricant développe des solutions spécifiques, obligeant à des reconfigurations lourdes des chaînes de production et générant des « pertes de capacité de production ».
Dans leur rapport, Jean-Louis Thiériot et Matthieu Bloch plaident pour « une standardisation effective des charges modulaires mais aussi des obus et systèmes », condition indispensable pour renforcer la résilience industrielle européenne face à un conflit de haute intensité.
Le cas du CAESAr en Ukraine illustre ainsi un paradoxe : l’excellence technique ne saurait compenser durablement les limites structurelles de l’écosystème européen de défense.