Alors que les négociations pour la phase 2 du programme européen SCAF (Système de Combat Aérien du Futur) traînent en longueur, Jean-Brice Dumont, vice-président d’Airbus et responsable de la division Air power (programmes d’avions militaires et de drones), tire la sonnette d’alarme. Pour lui, les avancées rapides en matière de drones et de connectivité posent question. Elles remettent en cause la cohérence du programme tel qu’il est actuellement conçu. « On peut se demander si nous ne sommes pas en train de nous tromper de plan », avertit-il dans une interview accordée à La Tribune.
SCAF : un projet en décalage avec l’innovation aéronautique ?
Lors de son audition en février dernier devant les députés de la commission de la défense, Jean-Brice Dumont avait déjà pointé les défis d’un programme aussi ambitieux. Selon lui, une nouvelle génération d’avions doit permettre aux forces armées de maintenir leur capacité de combat. « Pour les programmes SCAF et GCAP, cela ne signifie pas qu’il faille nécessairement réaliser un avion en commun. En revanche, ils doivent être interopérables », précise-t-il.
Pour atteindre cet objectif, il propose de travailler ensemble sur la couche de connectivité. « Si tel n’est pas le cas, chacun préparera la guerre de son côté et à l’arrivée, les gagnants seront américains ou chinois », met-il en garde. Cette approche est cruciale pour garantir que l’Europe ne perde pas en souveraineté technologique face aux grandes puissances.
Dumont alerte également sur l’évolution rapide des systèmes de combat collaboratif et des drones. « Nous nous préparons à entrer dans la phase 2, mais nous avons un sujet fondamental auquel il va falloir répondre : la façon dont le monde évolue », souligne-t-il. Il estime que l’Europe ne peut plus se permettre d’attendre 2040 pour finaliser ses capacités de nouvelle génération. Pour lui, les évolutions technologiques imposent de repenser la feuille de route actuelle.

Intégrer le combat collaboratif dès aujourd’hui
Pour Jean-Brice Dumont, attendre 2040 pour lancer le SCAF est risqué. « Si on ne bouge pas dès maintenant sur le combat collaboratif, l’Europe va acheter américain dans cinq ans », prévient-il. Airbus plaide donc pour une stratégie plus réactive, intégrant des systèmes collaboratifs sur les appareils existants.
Il propose d’agir dès à présent avec les avions actuels en France, en Allemagne et en Espagne. « On peut commencer avec les avions d’aujourd’hui et préparer les technologies dont on a besoin pour la génération suivante », suggère-t-il. Une approche progressive permettrait d’éviter le piège d’une technologie monolithique à l’horizon 2040.
Le risque est de taille : si l’Europe ne réagit pas rapidement, elle pourrait se retrouver à acheter des systèmes américains. « Il est essentiel de garantir l’interopérabilité dès maintenant », insiste Dumont. Les capacités collaboratives déjà disponibles doivent être exploitées sans attendre.
Un projet à déconflictualiser pour une stratégie commune
Jean-Brice Dumont met également en garde contre un autre risque : celui de la rivalité entre partenaires européens. « Le programme SCAF en fournit un exemple patent : nous devons prouver qu’il ne constitue pas un terrain de combat permanent, mais plutôt un terrain de travail commun », affirme-t-il.
De son côté, Éric Trappier partage cette vision. « Le F5 sera la continuation du F4. La priorité dans le développement du F4, c’est le combat collaboratif. Il ne faut pas croire que le combat collaboratif commencera avec le SCAF », rappelait-il lors d’une audition parlementaire en 2023.
Cependant, un problème persiste : « Dans le cadre du SCAF, l’ambition est que les avions européens travaillent entre eux. Mais la majorité des avions européens sont aujourd’hui américains, la problématique se pose donc », constatait le PDG de Dassault Aviation. Cette situation fragilise l’ambition de l’Europe de se doter d’un système aéronautique souverain.
Un enjeu stratégique pour la souveraineté européenne
Pour Jean-Brice Dumont, il est essentiel d’éviter un développement en silo. Chaque nation pourrait être tentée de créer ses propres solutions sans coordination. « Nous devons tracer une feuille de route entre 2025 et 2040 et surtout éviter que chacun soit dans son silo pendant 15 ans », insiste-t-il. Cette approche garantirait une coopération plus efficace et éviterait une fragmentation des efforts européens.
Dumont plaide pour une stratégie réactive et collaborative. Pour lui, le SCAF doit rester un projet évolutif, capable d’intégrer les innovations au fil du temps. « Le besoin opérationnel de SCAF existe déjà. Si on ne bouge pas dès maintenant, l’Europe va acheter américain », avertit-il une nouvelle fois.
En clair, Airbus milite pour un saut technologique progressif plutôt qu’un grand bond unique vers 2040. Pour Dumont, le SCAF doit intégrer dès aujourd’hui les capacités collaboratives afin de préserver la souveraineté européenne. L’enjeu est de taille : garantir que les futurs appareils européens soient à la hauteur des défis technologiques contemporains, sans laisser le champ libre aux acteurs extra-européens.