Le 25 mars 2025, l’OTAN a annoncé l’adoption du Maven Smart System NATO (MSS NATO), développé par Palantir, pour équiper son Commandement allié Opérations (ACO). Cette plateforme d’intelligence artificielle vise à accélérer la prise de décision sur le champ de bataille, en fusionnant des données multi-sources via des modèles de langage (LLM), de l’IA générative et des algorithmes d’apprentissage automatique.
Signé en seulement six mois, ce contrat — l’un des plus rapides de l’histoire de l’Alliance — marque un tournant. Mais il pose aussi la question de la souveraineté numérique des États membres, alors que Palantir, dirigé par Peter Thiel, est étroitement lié au Pentagone et au camp Trump. Dans un contexte de tensions sur le partage du fardeau transatlantique, la dépendance à une solution américaine aussi stratégique ne va pas sans interrogations.
Une réponse française structurée : Artemis.IA et GenIAl.intradef
En parallèle, la France poursuit une stratégie de souveraineté technologique, en s’appuyant sur deux projets structurants. D’un côté, Artemis.IA, plateforme souveraine de traitement massif de données, entre en phase d’industrialisation après deux premières phases (56 M€) et six cas d’usage testés. Pilotée par la DGA via la société ATHEA (Thales et Atos), elle s’inscrit dans les 700 M€ dédiés à l’IA par la loi de programmation militaire (LPM) 2019–2025.
De l’autre, GenIAl.intradef, lancée début 2025, offre aux personnels civils et militaires une IA générative multiservices, dédiée à l’optimisation des tâches répétitives et à la productivité quotidienne (synthèse, traduction, transcription, OCR, etc.). Elle repose sur le cloud militaire C1DR et s’intègre à l’écosystème Artemis.
Comand AI : la jeune pousse qui défie Palantir
Mais c’est une start-up française qui cristallise aujourd’hui les regards : Comand AI, fondée en 2023 par Loïc Mougeolle (ex-Naval Group) et Antoine Chassang (ex-Snapchat). Elle a levé 8,5 M€ auprès d’Eurazeo fin 2024, après une première levée de 3 M€, et ambitionne clairement de concurrencer Palantir sur le segment du commandement augmenté par IA.
Sa suite logicielle Prevail promet une prise de décision militaire quatre fois plus rapide, un retex automatisé et une génération de plans d’opérations en quelques minutes. Elle intègre les doctrines des armées clientes, alliées et adverses, avec une extension prévue vers les milieux maritime, aérien, spatial et cyber.
Déjà testée par l’armée française à Saumur, et déployée en Allemagne et au Royaume-Uni, Prevail se positionne comme une alternative plus agile et adaptée que Palantir. « Nos concurrents font de l’IA une brique additionnelle. Nous, c’est notre cœur de métier », affirmait Loïc Mougeolle dans les colonnes de Challenges. L’équipe mêle anciens de Palantir, d’OpenAI, et experts militaires européens.
L’appel à une souveraineté numérique partagée
L’amiral Pierre Vandier rappelait récemment devant les députés de la commission de la défense : « Les Européens doivent investir massivement. La sécurité numérique et la maîtrise des données sont aujourd’hui fondamentales. » En 2024, dans une tribune publiée dans la Harvard Business Review, il soulignait que le logiciel est devenu le cœur du système d’armes : modulaire, autonome, et intégré aux missions. La donnée devient le carburant opérationnel commun à toutes les fonctions militaires.
Dans un contexte où les États-Unis investissent plus de dix fois plus que l’Europe dans la R&D, des acteurs comme Comand AI incarnent une nouvelle ambition : développer des solutions souveraines, adaptables, et compétitives à l’échelle mondiale. « L’Europe est en voie de déclassement logiciel. Il faut un leader mondial, et nous avons le potentiel de l’être », estimait le co-fondateur de la start-up.
Deux visions de l’IA de défense
Là où l’OTAN mise sur une solution américaine robuste mais complexe, la France trace une voie hybride : industrialisation d’une infrastructure souveraine, IA métier généralisée, et soutien à une start-up nationale à forte valeur stratégique.
La guerre de demain se jouera aussi sur les lignes de code. Et dans cette bataille, la souveraineté numérique est une capacité opérationnelle.