Alors que le drone Eurodrone accuse de nouveaux retards et que son adéquation aux besoins opérationnels actuels est remise en question, le député Thomas Gassilloud propose d’envisager sa suspension. Une position partagée, avec nuances, jusque dans les plus hautes sphères de l’État-major et du ministère des Armées.
Le programme Eurodrone, censé doter l’Europe d’un drone MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) souverain, prend l’eau. Aucun prototype n’a encore été construit, et la livraison des premiers appareils est désormais attendue pour 2031, avec au moins un an de retard sur le calendrier initial. Ce glissement, confirmé par le ministre des Armées lui-même, ravive le débat sur la pertinence du projet.
« L’Eurodrone devrait avoir un an de retard. Il faudra se poser la question des pénalités. Les raisons, je ne les connais pas, avait déclaré le ministre des Armées Sébastien Lecornu devant les sénateurs de la commission des Affaires étrangères et de la Défense en octobre 2024. L’enjeu, maintenant, c’est d’avoir une livraison dans les forces d’un drone qui soit toujours d’actualité du point de vue opérationnel. »
Deux options se dessinent selon le ministre : « Soit on décide de l’abandonner unilatéralement, et cela peut coûter aussi cher que si l’on commande vraiment l’objet. Soit on décide collectivement de faire évoluer le programme. Mais inversement, si l’on ne reçoit pas ce que l’on a commandé, c’est plutôt l’entreprise qui nous devra des pénalités. »
Un programme trop lourd, des alternatives plus agiles
Le député Thomas Gassilloud, membre de la commission de la Défense nationale et des forces armées, propose dans un rapport parlementaire co-rédigé avec Damien Girard que nous avons pu consulter, d’étudier la suspension du programme Eurodrone. En cause : une conception lourde (28 mètres d’envergure, 17 tonnes), une empreinte logistique importante, et des spécifications qui datent de près de dix ans.
Le général Bellanger, chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace (CEMAAE), avait exprimé des réserves similaires devant les sénateurs en octobre dernier : « Ce drone sera immédiatement navigable et correspondra aux spécifications que nous lui avions données, il y a de nombreuses années, mais les temps ont changé. » Il a également souligné que l’appareil nécessiterait « des infrastructures énormes » pour être déployé, et qu’il « tient difficilement la comparaison, en matière d’envergure et de coût, face à des modèles comme l’Aarok », tout en espérant une avancée des industriels pour une livraison avant 2031.
Face à cette situation, des alternatives françaises plus rapides et flexibles gagnent en crédibilité. Le drone Aarok, développé par Turgis & Gaillard, ainsi que le drone ENBATA, porté par Aura Aero, visent tous deux le segment MALE avec une approche plus modulaire, des coûts mieux maîtrisés, et une certification duale. Ces projets répondent plus directement à la logique actuelle des armées : produire vite, à moindre coût, et adapter les plateformes aux besoins réels du terrain.
Une décision stratégique à clarifier
La LPM 2024–2030 prévoit l’achat de six systèmes Eurodrone. Envisager la suspension du programme, c’est aussi ouvrir un débat sur la réaffectation de crédits importants vers des solutions jugées plus efficaces à court et moyen terme.
Il ne s’agit pas de remettre en cause le principe de coopération industrielle européenne, mais d’en repenser les modalités à l’aune des exigences opérationnelles. À mesure que les conflits évoluent, la capacité à livrer vite et à déployer des systèmes adaptés devient aussi stratégique que l’outil lui-même.
Pour Thomas Gassilloud comme pour d’autres acteurs du secteur, l’heure n’est plus aux grands programmes figés dans le temps, mais à des équipements simples, robustes et disponibles sans délai excessif. Le dossier Eurodrone, symbole d’un modèle industriel à bout de souffle, pourrait bien devenir le test de cette nouvelle approche.