Lors de son audition le 7 mai 2025 devant les députés de la commission de la Défense, l’amiral Bernard Rogel a résumé la situation : la paix d’hier n’est plus assurée, et il va falloir passer d’un modèle de maintien de la paix à un modèle d’« empêchement de la guerre ». Il ne suffit plus d’envoyer des bâtiments pour montrer le pavillon ; il faut pouvoir intervenir en urgence, dissuader avant toute montée aux hostilités et coordonner diplomatie et forces navales en temps réel.
Un tournant stratégique pour la Marine
La Turquie, l’Algérie et l’Égypte montent en puissance navale. Les flottes sous-marines ? Plus de 400 unités dans cinquante pays. Pour rester devant, la France doit renforcer ses capteurs, moderniser ses bâtiments et réviser ses tactiques anti-sous-marines. Surveillance continue, exercices conjoints et partage de renseignements resteront essentiels.
L’ancien chef d’état-major de la Marine nationale évoque une guerre en mer de plus en plus hybride : cyberattaques sur les quais, sabotages de câbles sous-marins, pollutions ciblées… Il parle de « Dark War », en écho au Dark Web, où l’ennemi frappe sans prévenir et cherche à paralyser nos chaînes logistiques. « Nous pourrions donner carte blanche à notre imagination, de l’utilisation massive de pêcheurs pour occuper des zones à des agressions ciblées contre des infrastructures économiques, en passant par des cyberattaques massives contre les ports à conteneurs fortement automatisés ou bien encore des pollutions supposément accidentelles de nos côtes. Dans le domaine des “coups fourrés”, le champ des possibles devient infini avec le développement technologique. » Pour riposter, il propose de multiplier les cellules de réaction rapide, de raccourcir les circuits de décision et de répéter ces scénarios en exercice.
Par ailleurs, l’accélération technologique (intelligence artificielle et quantique) soulève trois enjeux : définir le rôle de l’homme face aux algorithmes, protéger nos bâtiments automatisés des cyberattaques et intégrer drones aériens, navals ou sous-marins sans créer de failles nouvelles. L’amiral Rogel insiste : il faut lancer ces chantiers dès maintenant, avant d’être pris de court.
Moderniser la flotte avant de l’agrandir
Avant même de penser à de nouveaux bâtiments, Rogel insiste : modernisons et armons pleinement les Suffren, les frégates de défense et d’intervention (FDI) et les patrouilleurs outre-mer (POM), et garantissons un taux de disponibilité élevé. « Une marine efficace est une marine en mer et non à quai », rappelle-t-il : mieux vaut moins de bâtiments actifs qu’un grand nombre immobilisés.
La question d’un deuxième porte-avions reste vivace et « ne doit pas disparaître de nos esprits » : rien ne remplace un groupe aéronaval (GAN) pour projeter la puissance. En attendant, « dronisons » la surveillance maritime (MALE et drones navals) pour libérer nos frégates en haute intensité et garantir une veille constante sur nos zones d’intérêt.
Au final, l’amiral Rogel délivre un message pratique : adaptons nos moyens, plaçons la stratégie avant le matériel et restons mobiles. C’est ainsi que la France conservera sa marge de manœuvre en mer et continuera de défendre ses intérêts, en Europe ou en Indo-Pacifique.