À l’horizon 2040, les systèmes autonomes transformeront les opérations en mer, redéfinissant le rôle des marins tout en renforçant les capacités de combat. Le capitaine de frégate François-Olivier Corman, dans son article Every Robot Will Do Its Duty publié par l’US Naval Institute, examine cette transformation et ses implications pour les marines occidentales. Comment les marines occidentales peuvent-elles s’adapter à ce nouvel environnement ?
La montée en puissance des systèmes autonomes
Les systèmes autonomes maritimes, en raison de leur faible coût et de leur accessibilité croissante, bouleversent la conduite des opérations navales. La possibilité de produire et de déployer massivement des drones de surface ou sous-marins permet à un nombre toujours plus grand d’acteurs de s’équiper. Ainsi, la guerre navale devient un affrontement numérique où la quantité prime, comme en témoigne l’attaque coordonnée de dix drones ukrainiens contre le patrouilleur russe Sergei Kotov en mars 2024.
Cette multiplication des systèmes entraîne également un allongement des séquences de combat. Grâce à leur endurance, ces robots peuvent continuer d’opérer même dans des environnements contaminés ou hostiles. Pour la première fois, la permanence du combat devient une option réaliste, exigeant une résilience accrue des forces humaines et robotiques.
La robotisation accélère le tempo des engagements navals. En raccourcissant les cycles décisionnels (observer, orienter, décider, agir), elle rend les affrontements plus dynamiques et fréquents. De plus, l’absence de risques humains directs lors de l’utilisation de drones favorise des prises de décision plus audacieuses et rapides. Cependant, cette accélération comporte un risque : l’autonomie accrue des systèmes peut entraîner des comportements irrationnels et imprévisibles, complexifiant davantage la gestion des opérations.
L’élargissement du champ de bataille
Les systèmes autonomes étendent considérablement l’espace de combat, créant une interpénétration des domaines de guerre (maritime, cyber, spatial). Cependant, cette expansion se heurte aux limites physiques : la petite taille de nombreux drones réduit leur capacité à affronter les conditions maritimes difficiles ou à déployer des armements lourds comme les missiles ou les torpilles. Cette contrainte impose de repenser la conception des plateformes pour qu’elles puissent accueillir ces systèmes tout en restant opérationnelles sur tous les théâtres.
Certes, la guerre d’Ukraine est d’abord une question d’invasion territoriale et de combats aéroterrestres, mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt : même dans la petite mer Noire, même avec des marines aux moyens très dissymétriques, c’est un combat acharné pour le contrôle de l’espace maritime qui se joue depuis février 2022. La perte du croiseur russe Moskva et les attaques contre des navires de renseignement russes par des drones ukrainiens en sont des illustrations marquantes. Ces affrontements révèlent les trois modalités classiques de la guerre navale : la guerre des côtes, la guerre d’escadre et la guerre de course, auxquelles s’ajoute la guerre amphibie. Cette multiplicité d’approches rappelle que le combat naval reste un levier stratégique essentiel.
L’histoire nous enseigne que, malgré les innovations technologiques, le facteur humain reste central. Comme l’affirmait le stratège Alfred Thayer Mahan, « de bons marins dotés de mauvais bateaux sont meilleurs que de mauvais marins disposant de bons bateaux ».
Vers une stratégie hybride homme-robot
Pour tirer parti de ces évolutions, Corman recommande aux marines occidentales d’adopter une approche hybride. Plutôt que d’opposer systèmes avec ou sans équipage, il prône leur complémentarité pour maximiser l’efficacité opérationnelle. Les robots ne doivent pas remplacer les équipages, mais leur permettre de se concentrer sur des tâches complexes tout en déléguant des missions répétitives ou dangereuses aux machines.
Cela implique également de repenser l’organisation des forces navales en favorisant les réseaux interconnectés plutôt que les approches compartimentées. La guerre navale de demain reposera sur la capacité à coordonner des systèmes hétérogènes, impliquant à la fois humains et robots dans des configurations optimisées.
L’ère des systèmes autonomes redéfinit profondément la guerre en mer. Si l’augmentation du nombre de robots rend les affrontements plus intenses et moins prévisibles, l’avenir réside dans une hybridation stratégique qui valorise l’intelligence humaine tout en exploitant les capacités numériques et mécaniques. Pour les marines occidentales, s’adapter à ce cinquième âge du combat naval sera crucial pour maintenir leur supériorité tactique.
Photo © Marie Delannoy – Marine Nationale