On devait y voir clair avant fin août. Ce jalon fixé par Paris et Berlin pour relancer le Système de combat aérien du futur (SCAF) n’a pas été tenu. Entre-temps, le changement de Premier ministre en France – avec la nomination de Sébastien Lecornu – a bousculé l’agenda. Le nouveau chef du gouvernement, fin connaisseur du dossier pour l’avoir porté à la tête des Armées, a repris la main. Mais ce passage de témoin a repoussé les arbitrages au début de l’automne, alors que l’impatience grandit en Allemagne.
Un « système de systèmes » à la peine
Estimé à plus de 100 milliards d’euros, le SCAF vise à remplacer Rafale et Eurofighter à l’horizon 2040 avec un « système de systèmes » mêlant avion de nouvelle génération, drones et cloud de combat. Sur le papier, la répartition est claire : France (Dassault), Allemagne (Airbus Defence & Space), Espagne (Indra). Dans les faits, la gouvernance à trois têtes enraie la décision : leadership technique, sélection des sous-traitants, propriété intellectuelle… L’empilement des verrous nourrit la défiance et la tentation de scénarios alternatifs.
La veille du sommet franco-allemand de juillet, Éric Trappier (Dassault) a remis la pression : sans « architecte » industriel clairement désigné, le programme patine. Il rejette l’idée d’un « 80 % » français, mais défend la « méthode Rafale » et l’exemple du démonstrateur nEUROn : pilotage clair, responsabilités assumées, sous-traitance choisie. À Berlin, la ligne demeure ferme : équilibre garanti avec Airbus et Indra, respect des engagements initialement actés.
Signe du climat, le débat se durcit au Bundestag. « À un moment donné, [le] parlement devra dire : “Soit nous avons besoin de cet avion, soit nous n’en avons pas besoin” », a déclaré à POLITICO Andreas Schwarz, député social-démocrate, avertissant que la production n’a même pas commencé et que « de nombreux problèmes imprévus » risquent encore de surgir. Le message est limpide : il faut des décisions, des jalons et une visibilité budgétaire.
Plans B de Berlin : Suède, Royaume-Uni ou recentrage avec l’Espagne
Dans ce contexte, Berlin entretient des « plans B » : coopération renforcée avec la Suède (expertise Saab en avionique, capteurs, cellules légères), dialogue avec le Royaume-Uni malgré le risque de conflits d’intérêts avec le programme concurrent GCAP (Global Combat Air Programme) mené par BAE Systems, ou scénario resserré avec l’Espagne. Ces options ne relèvent plus de la posture, mais d’une pression tangible pour accélérer.
Côté français, la Direction générale de l’armement (DGA) et le rapport sénatorial « 2040, l’odyssée du SCAF » plaident pour sortir des quotas nationaux figés au profit d’une organisation par briques critiques (cellule, moteur, capteurs, systèmes, cloud de combat) et clarifier la propriété intellectuelle. Objectif : enclencher la phase 2 et sécuriser un calendrier crédible vers un démonstrateur. Or l’échéance de vol visée en 2028–2029 se fragilise déjà, avec à la clé un risque de dérive au-delà de 2040.
« Franchement, si l’Allemagne veut sortir, qu’elle sorte. On sait faire. La France a les équipes, les briques [technologiques], l’expérience d’intégrateur… On ne va pas passer cinq ans de plus à se chamailler sur chaque virgule. Vu l’ambiance aujourd’hui, imaginez demain. Autant couper proprement maintenant », nous indique, sous couvert d’anonymat, une source industrielle française proche du dossier.
La nomination de Sébastien Lecornu peut rebattre les cartes : s’il convertit sa connaissance du dossier en arbitrages rapides avec Berlin et Madrid, le programme peut repartir. Faute de signal politique d’ici l’automne, les alternatives allemandes gagneront en consistance. Le choix est désormais binaire : soit un compromis de gouvernance – « capitaine clair », décisions rapides, trajectoire publique -, soit un SCAF transformé en vitrine des blocages européens.
Photo © Dassault Aviation – M. Douhaire