La Revue nationale stratégique 2025 (RNS 2025), présentée ce 14 juillet dans un contexte international tendu et une situation intérieure morcelée, cherche à renouer le lien entre défense et société. Le gouvernement, lucide sur la dégradation accélérée de l’environnement stratégique – conflit de haute intensité en Europe, rivalités systémiques, menaces hybrides persistantes – affirme que la sécurité du pays ne peut plus reposer sur le seul appareil militaire.
Elle doit redevenir l’affaire de la Nation dans son ensemble. C’est dans cet esprit que la revue mise sur une mobilisation citoyenne élargie, structurée, et ancrée dans les territoires. Cette orientation résonne comme une tentative de revitaliser un sentiment d’appartenance fragilisé, de répondre aux inquiétudes sur la capacité de résilience d’une société traversée par le doute civique, les fractures sociales, et la perte du sens du collectif. À rebours de l’individualisme dominant, le texte semble faire écho à la pensée d’Ernest Renan, qui écrivait : « La nation, comme l’individu, est l’aboutissant d’un long passé d’efforts, de sacrifices et de dévouements (…). Avoir des gloires communes dans le passé, une volonté commune dans le présent ; avoir fait de grandes choses ensemble, vouloir en faire encore, voilà les conditions essentielles pour être un peuple. »
Mais cette ambition, pour ne pas rester lettre morte, devra affronter une réalité politique rugueuse : une polarisation croissante, une défiance persistante envers l’État, et des oppositions structurelles qui rendent difficile toute mobilisation véritablement transpartisane. Le pari de la RNS 2025 est donc aussi une question de volonté politique, d’animation concrète sur le terrain, et d’incarnation durable d’un récit national commun. Sans cela, les dispositifs institutionnels risquent de ne jamais transformer l’inertie civique en énergie collective.
Structurer l’engagement et ancrer la défense dans les territoires
Le document traduit néanmoins une volonté assumée : faire émerger un modèle de défense partagée, reposant sur des viviers de citoyens engagés, capables de contribuer à la sécurité collective. Le gouvernement a amorcé une transformation en profondeur de la Journée défense et citoyenneté (JDC), qui doit sortir de son inertie symbolique. Une interface numérique orientera désormais les jeunes vers trois parcours d’engagement : la réserve de sécurité nationale, le service de sécurité nationale, ou un vivier de bénévoles et volontaires. Ce triptyque doit permettre de capter des profils variés, mobilisables selon leurs compétences, leur niveau de disponibilité et leurs aspirations. Il s’agit de construire une « nation résiliente », en rendant plus accessible et lisible l’engagement au service de l’intérêt général.
Pour soutenir cette logique, l’État parie sur une territorialisation claire des efforts. Les départements deviendront le centre de gravité de l’organisation de cette mobilisation. Une Garde nationale rénovée chapeautera l’ensemble des dispositifs existants de réserve, de volontariat et de bénévolat. Les services développeront un système d’information unifié, afin d’assurer une gestion coordonnée des ressources humaines. En parallèle, un guide national des réserves et du bénévolat permettra d’orienter les volontaires vers les dispositifs les plus adaptés. Ces outils visent à lever les nombreux obstacles, parfois juridiques ou administratifs, qui freinent aujourd’hui le recrutement et l’emploi effectif des citoyens engagés.
Vers une défense intégrée et préparée
Les armées et les forces de sécurité intérieure amorceront également une montée en puissance de leurs réserves. À partir de 2026, les effectifs de la réserve opérationnelle augmenteront, tout comme le nombre de jours d’activité par réserviste. Les autorités prévoient des formations spécifiques, un accès renforcé aux équipements, et une intégration accélérée avec les forces d’active. Les missions confiées aux réservistes s’élargiront, avec une priorité donnée à la protection du territoire national, au soutien logistique, et à l’appui des opérations extérieures. Parallèlement, la Direction générale de l’armement (DGA), en lien avec les industriels de la BITD, mettra en place une réserve industrielle de défense, conçue pour garantir la continuité des chaînes de production critiques en temps de crise.
Le texte insiste également sur la nécessité de diffuser une culture de la résilience à l’échelle nationale. Le gouvernement diffusera dès cette année un guide de la résilience à destination de la population. Il rénovera les dispositifs d’information sur les menaces, modernisera les canaux de communication, et introduira des modules sur les enjeux de défense dans les cours d’éducation civique. Ces mesures visent à restaurer une forme de continuité stratégique entre institutions et citoyens. Dans le même temps, les collectivités territoriales recenseront les compétences disponibles dans leur bassin de vie – individus, entreprises, associations -, et mettront à jour leurs plans de sauvegarde. L’État leur apportera un appui renforcé via la modernisation des centres opérationnels et une montée en puissance des préfectures sur le champ de la sécurité économique et de la lutte contre les ingérences.
L’outre-mer s’inscrit pleinement dans cette logique de mobilisation. Le Service militaire adapté (SMA), déjà engagé dans l’insertion sociale, verra ses effectifs croître d’ici 2030. Son offre de formation sera recentrée et son rôle opérationnel renforcé. Dans des territoires insulaires ou fragiles, exposés aux crises naturelles et humaines, le SMA deviendra un relais de première ligne entre jeunesse, forces armées et environnement socio-économique local. L’État encouragera en parallèle le développement de coopérations régionales en matière de sécurité, avec le soutien des opérateurs français présents dans ces zones.
Un défi politique autant que stratégique
L’ambition portée par la RNS 2025 est claire : refonder le lien entre défense et société, en élargissant les formes d’engagement, en redéployant des dispositifs de mobilisation au niveau local, et en projetant l’idée de résilience dans toutes les strates de la vie nationale. Mais cet objectif ne peut s’abstraire du climat politique dans lequel il s’inscrit. La défiance croissante envers les institutions, les clivages partisans exacerbés, et le sentiment diffus d’un État éloigné des réalités vécues constituent autant de lignes de fracture qu’aucune réforme, même bien pensée, ne peut ignorer. L’unité stratégique ne se décrète pas : elle se construit par la confiance, la cohérence des actes, et une forme d’exemplarité politique dans la conduite des affaires publiques.
Pour surmonter ces divisions, l’État devra montrer qu’il ne cherche pas à instrumentaliser l’idée d’engagement citoyen au service d’une logique verticale, mais qu’il est prêt à reconnaître et intégrer les initiatives locales, associatives, territoriales, qui nourrissent déjà une culture de la solidarité et de la responsabilité collective. Autrement dit, la mobilisation ne pourra réussir que si elle repose sur un pacte clair, lisible et partagé entre institutions et citoyens, entre Paris et les territoires, entre l’appareil d’État et les acteurs de terrain. Cela suppose non seulement des moyens et des structures, mais surtout une vision, une constance, et une capacité à dépasser les réflexes technocratiques ou partisans.
Il ne suffira donc pas d’en appeler à l’unité nationale depuis le haut de l’État : il faudra la rendre tangible, concrète, vécue. Cela implique de reconnaître que la résilience n’est pas qu’une affaire de doctrine ou de gestion de crise, mais qu’elle est indissociable d’un projet de société. Si la Revue nationale stratégique 2025 parvient à incarner cela, alors elle pourra marquer un tournant. À défaut, elle risque de rejoindre la longue liste des plans stratégiques trop en avance sur leur époque, ou trop éloignés de ceux qu’ils prétendent mobiliser.
Photo © Emmanuel Macron (X)