Alors que les incendies de forêt gagnent en intensité et en fréquence, la France se retrouve confrontée à une réalité préoccupante : sa flotte de Canadair, ces bombardiers d’eau emblématiques, est vieillissante et trop peu disponible. Pour y répondre, la jeune pousse girondine Hynaero propose une alternative ambitieuse et résolument tournée vers l’avenir : le Frégate-F100, un avion amphibie de nouvelle génération conçu pour intervenir rapidement et efficacement face aux flammes.
Un avion pensé pour les besoins du terrain
Le Frégate-F100 est encore à l’état de maquette numérique, mais les contours de son design sont déjà prometteurs. Il sera environ un quart plus grand que le Canadair actuel et pourra transporter jusqu’à 10 tonnes d’eau, contre 6 pour son prédécesseur. Sa vitesse de croisière s’élèvera à 250 nœuds, soit près de 460 km/h, ce qui lui permettra de multiplier les rotations au-dessus des zones sinistrées. Mieux encore : il pourra écoper sur des étendues d’eau courtes, de seulement 800 mètres, ouvrant la voie à des opérations dans des zones jusqu’ici peu accessibles.
Pensé pour durer, le Frégate sera doté d’une structure métallique facilitant les réparations sur le terrain, notamment après des missions d’écopage intenses. Certaines parties, comme les ailes ou la queue, pourraient être réalisées en matériaux composites pour allier robustesse et légèreté. Côté motorisation, Hynaero prévoit deux turbopropulseurs Pratt & Whitney de 5 000 chevaux, compatibles avec des carburants plus propres comme le SAF (Sustainable Aviation Fuel), répondant ainsi aux enjeux environnementaux du secteur aérien.
Mais au-delà de sa performance technique, l’appareil s’inscrit dans une logique écologique de préservation des forêts. Selon David Pincet, cofondateur d’Hynaero, chaque mission pourrait éviter l’émission de 1 000 tonnes de CO₂ en empêchant la destruction d’environ 10 hectares de végétation, pour un coût carbone opérationnel d’environ 35 tonnes. Un rapport bénéfice/émission de 1 à 40, qui replace le rôle des avions de lutte contre les incendies dans le débat climatique.
Une réponse urgente à une situation critique
Aujourd’hui, la France ne dispose que d’une douzaine de Canadair, dont certains sont cloués au sol une bonne partie de l’année. L’été dernier, seuls deux à cinq appareils étaient opérationnels au plus fort de la saison des feux. Une situation d’autant plus alarmante que les incendies ne se cantonnent plus aux régions méditerranéennes : d’après les projections de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), les départements jusque-là épargnés pourraient eux aussi être touchés dans les années à venir.
C’est pour anticiper cette évolution que quatre spécialistes issus de la sécurité civile, de l’armée et de l’industrie aéronautique ont lancé Hynaero en 2023. Leur objectif : concevoir un avion pensé avec – et pour – les professionnels du feu. Les pilotes français, italiens et grecs ont été consultés dès le départ afin d’exprimer leurs besoins et leurs retours d’expérience. « On ne veut pas leur imposer une machine. On veut construire celle qu’ils attendent », explique David Pincet.

Grâce à une première levée de fonds de plus d’un million d’euros et à des partenariats solides avec Airbus, Safran et Thales, l’entreprise a pu entamer la phase de conception détaillée de l’appareil. Objectif : un premier prototype en 2029, des essais en vol dans la foulée, et une mise en service opérationnelle en 2031. Un calendrier qui coïncide avec le retrait probable des Canadair encore en activité.
Un ancrage industriel stratégique à Istres
Après avoir envisagé plusieurs sites pour implanter sa future usine d’assemblage, Hynaero a choisi Istres, dans les Bouches-du-Rhône. Ce site, bien connu du secteur aéronautique pour sa base aérienne et ses infrastructures d’essai, s’est imposé face à Pau et Nîmes grâce à la mobilisation rapide des acteurs publics. L’État et la Région Sud ont engagé 7 millions d’euros pour soutenir le projet dans le cadre de France 2030. La promesse d’un hangar déjà prêt – l’ancien hangar Mercure – et la proximité d’un tissu industriel dense ont achevé de convaincre les porteurs du projet.
Avec cette implantation, ce sont potentiellement 500 emplois directs qui pourraient voir le jour d’ici 2031. Un signal fort pour le renforcement de la filière aéronautique régionale, mais aussi pour la souveraineté industrielle française dans un domaine où la dépendance aux solutions étrangères reste forte.
La décision est aussi perçue comme un revers pour la Nouvelle-Aquitaine, région d’origine d’Hynaero, qui avait pourtant soutenu ses débuts avec une subvention de 300 000 euros. Mais le réalisme industriel a primé sur l’attachement territorial : Istres offrait tout simplement les meilleures garanties pour mener à bien le programme dans les temps.
Un concurrent direct pour le retour du Canadair
Le Frégate-F100 arrive dans un contexte où le Canadair pourrait lui aussi faire son retour. De Havilland, son constructeur, a relancé la production du CL-415 avec 22 commandes européennes, dont six passées par la France. Une première livraison est prévue en 2028. Face à ce concurrent historique, Hynaero joue la carte de la modernité et de la proximité avec les utilisateurs : avion plus rapide, plus capacitaire, plus réparable et plus connecté, avec un système de mission intégré et des commandes de vol électriques.
Reste désormais à réunir les financements nécessaires à la poursuite du programme : 8 millions d’euros supplémentaires sont recherchés pour finaliser la phase de conception d’ici à l’été 2026.
À travers le Frégate-F100, Hynaero entend faire plus qu’apporter une réponse technique à une crise opérationnelle. L’entreprise veut démontrer qu’il est possible, en France, de lancer un programme aéronautique d’envergure en partant de zéro, en dialoguant avec les utilisateurs, et en construisant un modèle à la fois efficace, écologique et industriellement souverain. Le pari est audacieux, mais l’enjeu est clair : ne plus dépendre d’avions conçus à l’étranger pour protéger nos forêts et ce, alors même que le feu devient un adversaire permanent.
