Longtemps considérée comme une “vieille arme” reléguée au second plan, l’artillerie connaît un retour fulgurant au cœur des batailles modernes. Le conflit en Ukraine agit comme un accélérateur de réalités opérationnelles : la haute intensité épuise les matériels, révèle les forces et expose les failles. Dans ce théâtre d’usure et de technologie, le CAESAr français s’impose comme une pièce maîtresse, saluée pour sa mobilité, sa rusticité et sa précision. Mais au-delà des succès tactiques, le retour d’expérience transmis par les députés Jean-Louis Thiériot et Matthieu Bloch dans leur rapport parlementaire souligne les nouveaux défis industriels et capacitaires que la France devra relever pour maintenir son artillerie à la hauteur des exigences du combat moderne.
Adaptations de terrain : survivre sous la menace drone
Selon les informations issues du rapport parlementaire de Jean-Louis Thiériot et Matthieu Bloch, les CAESAr français déployés en Ukraine ont subi des évolutions remarquables sous la pression du champ de bataille. Confrontés à l’intensification de la menace drone – une brigade russe pouvant tirer jusqu’à 300 drones de type FPV (First-Person View) par jour – les forces armées ukrainiennes (FAU) ont adapté leurs systèmes : cages de protection autour de la cabine, casiers de stockage renforcés, dispositifs de camouflage. Autant d’ajouts artisanaux devenus essentiels.
Le général de brigade Éric Lendroit, en charge de la coalition artillerie pour l’Ukraine, précise d’ailleurs : « Les 2/3 des frappes russes dans la profondeur sont effectuées avec des drones Shahed d’une portée de 1 000 à 1 500 km. Ces munitions sont donc aussi une capacité essentielle à détenir et dont il faut également se protéger ».
À l’échelle du front, chaque régiment ou brigade russe dispose d’environ 18 canons, auxquels s’ajoutent des lance-roquettes et des vecteurs de frappe terrestre longue portée. Cette densité d’appui-feu impose une guerre d’attrition sur les canons ukrainiens, dont les CAESAr, exposés à une érosion rapide des tubes et à des besoins constants en maintenance.
Le CAESAr, plébiscité par les artilleurs ukrainiens
Malgré ces conditions extrêmes, les retours d’expérience sont sans appel : le CAESAr est devenu un atout précieux pour les forces ukrainiennes. Lors de son audition, le général Lendroit a relayé l’enthousiasme des utilisateurs ukrainiens en énumérant les qualités du canon français :
- Grande mobilité et manœuvrabilité, permettant des tirs rapides et une évacuation avant la contre-batterie ennemie ;
- Précision remarquable, même après de nombreux coups ;
- Résistance aux cadences élevées de feu (moyenne de 60 à 90 coups/jour) ;
- Autonomie logistique importante (600 km) ;
- Taille compacte (6×6), facilitant le camouflage et la dissimulation ;
- Faible empreinte au sol, précieuse contre la détection radar ;
- Rusticité, avec la possibilité pour les équipages d’effectuer eux-mêmes des réparations de terrain ;
- Dispositifs de sortie dégradée, permettant de sauver la pièce en cas de panne.
Un arsenal de qualités qui fait du CAESAr non seulement une arme létale mais aussi un survivant du champ de bataille.
L’urgence d’une capacité de régénération des tubes
Toutefois, les rapporteurs Thieriot et Bloch soulignent une nécessité stratégique : « l’usure accélérée des canons en Ukraine, favorisée par les cadences de tirs extrêmes et l’usage systématique des portées maximales, nécessite de disposer en national d’une capacité industrielle rapide de régénération des tubes ».
À titre d’illustration, les canons ukrainiens Bohdana supporteraient en moyenne 7 000 à 8 000 tirs avant usure – un chiffre qui interroge directement la capacité de longévité des CAESAr français engagés sur un théâtre d’opérations intensives. La disponibilité opérationnelle du parc d’artillerie dépendra donc, demain, autant de la production de nouveaux canons que de la capacité à réparer, reconditionner et remplacer rapidement les tubes usés.
L’équation de la haute intensité
Dans une guerre d’usure, le rapport souligne l’importance d’un « optimum économique » entre la portée maximale recherchée et la durabilité des tubes. Le défi est aussi simple que cruel : tirer loin, souvent, avec précision — sans voir ses matériels se désintégrer en quelques mois.
Comme le rappellent les rapporteurs : « L’érosion accélérée des tubes d’artillerie limite temporairement la disponibilité opérationnelle et/ou la performance sur le champ de bataille ». Une réalité qui impose de repenser toute la logistique de soutien de l’artillerie de haute intensité.C
Le CAESAr français ressort grandi du conflit ukrainien : non seulement apprécié pour sa manœuvrabilité, sa rusticité et sa précision, mais aussi révélé comme un maillon indispensable d’une guerre industrielle de haute intensité.
Face à la mutation du champ de bataille, où 300 drones peuvent frapper chaque jour et où l’attrition est un rouleau compresseur, l’artillerie française devra, elle aussi, s’adapter : en quantité, en résilience et en vitesse de régénération.
Le retour de la “déesse de la guerre” ne fait que commencer.