Du 28 au 30 mars, le camp militaire de Souge, où est implanté le 13e régiment de dragons parachutistes (13e RDP), accueillera la 6e édition du SOFINS, le rendez-vous de l’industrie de défense avec les forces spéciales.
En 2023, le salon biannuel “dédié aux opérateurs” et porté par Le Cercle de l’Arbalète fête ses dix ans. L’occasion d’échanger avec son PDG, Benoît de Saint Sernin, qui est également le co-fondateur et directeur de l’École Européenne d’Intelligence Économique (EEIE) de Versailles.
Le SOFINS fête ses dix ans cette année. Quel bilan tirez-vous de la décennie écoulée ?
Les adversaires auxquels sont confrontés les forces spéciales n’ont cessé d’innover ces dix dernières années. Dans cette course à l’innovation, ces ennemis imaginent, sans aucune limite, des technologies de plus en plus sophistiquées et abominables. Pour faire face à la créativité des terroristes, le SOFINS aide nos militaires en leur apportant “sur un plateau” des innovations technologiques qui pourront peut-être leur permettre de contrer ce phénomène mouvant.
Une autre évolution majeure du SOFINS : l’augmentation du nombre de délégations étrangères. La créativité des entreprises françaises plaît !
En France, outre les outils régaliens comme l’Agence de l’innovation de défense (AID) – dont nous connaissons la lenteur – il y a aussi Le Cercle de l’Arbalète, qui propose rapidement des solutions aux militaires.
Quelle relation entretenez-vous avec le Commandement des opérations spéciales (COS) ?
La relation avec le COS est excellente et ce pour une raison simple : nous sommes à son service et celui-ci ne paye rien. En quelque sorte, nous sommes une R&D déportée qui lui permet d’avoir accès à des innovations que le COS n’a pas le temps de chercher du fait de la multitude d’opérations qu’il doit planifier.
Quelles seront les grandes nouveautés de cette édition 2023 du SOFINS ?
Deux grandes nouveautés sont prévues pour cette édition. La première est la mise en place d’une Air Drop Zone. Pendant toute la durée du salon, les chuteurs opérationnels vont pouvoir sauter avec les nouvelles voiles (SMT 460) de Safran. Il y aura trois rotations d’avions par demi-journée pour les chuteurs opérationnels et un avion de test pour le service technique de l’Armée de Terre (STAT).
Deuxième grande nouveauté à laquelle je tiens beaucoup, et c’est la particularité du SOFINS par rapport aux autres salons “Défense” : la possibilité de tester le matériel. Grâce aux infrastructures du camp de Souge, nous avons créé des villages de tests pour permettre aux opérateurs des forces spéciales – françaises et étrangères – d’essayer le matériel. Le SOFINS est le salon des opérateurs. Nous sommes contents de recevoir les “grands chefs” mais nous attendons plus particulièrement leurs hommes.
Par ailleurs, cette année, le COS a donné des consignes très claires : si un opérateur des forces spéciales ne vient pas, il doit expliquer pourquoi. C’est l’esprit du COS et de Bertrand Toujouse, son actuel général commandant les opérations spéciales (GCOS). L’objectif est de voir les militaires dans la forêt ou sur les différents “villages”, pour essayer le matériel, plutôt que sous la tente d’exposition.
Nous aurons la chance d’accueillir l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme (AILCT). Située à proximité d’Abidjan, celle-ci a pour ambition de favoriser la prise en compte globale du terrorisme, depuis le renseignement, jusqu’au traitement judiciaire, en passant par l’action des forces spéciales. En partenariat avec le COS, Le Cercle de l’Arbalète va inviter des entreprises pour leur permettre de mettre leurs produits dans les mains des stagiaires de l’AILCT. Cela va-t-il générer du soutien à l’export (SOUTEX) et des ventes ? Est-ce que les industriels viendront tester leur nouveau matériel ? Nous verrons. Avec ce projet, Le Cercle de l’Arbalète joue pleinement son rôle de fédérateur d’entreprises.
La chance avec les forces spéciales c’est qu’ils sont assez clairs sur leurs besoins.
Benoît de Saint Sernin, Le Cercle de l’Arbalète
Depuis la création du SOFINS, comment ont évolué les relations entre les industriels et les forces spéciales ?
Je pense qu’à notre petite échelle, nous avons contribué à rapprocher encore un peu plus les liens entre les industriels et les forces spéciales. Bien évidemment, tout ne passe pas par Le Cercle de l’Arbalète, mais nous en facilitons l’accès. Nous réduisons le temps entre l’éventuelle bonne idée, l’innovation et celui qui pourrait en avoir l’usage.
Le SOFINS est un rendez-vous incontournable pour les start-ups et PME qui souhaitent mettre leur innovation au service des forces spéciales françaises et internationales. Quels conseils leur donneriez-vous pour réussir sur ce marché ?
Je leur dirais d’écouter les forces spéciales qui viennent sur leur stand. Il ne faut pas être tout de suite dans la présentation de son produit. Il faut questionner l’opérateur des forces spéciales, du GIGN ou du RAID sur ses besoins. La chance avec les forces spéciales c’est qu’ils sont assez clairs sur leurs besoins. Ils sont aussi très cash lorsqu’il s’agit de vous dire que votre produit est une “daube” !
À l’heure de l’ingérence économique et de l’espionnage industriel, quelles mesures de sécurité mettez-vous en place durant le salon ?
Cette année le SOFINS accueillera environ 280 exposants. Parmi ceux-ci, 80 sont des membres du Cercle de l’Arbalète que nous connaissons déjà. Pour les deux cents autres, des alternants de l’EIEE effectuent un due diligence – audit d’acquisition – afin de connaître l’actionnariat de chacune des entreprises et s’assurer que les informations données par la société lors de son inscription sont exactes. Si nous sommes face à une “cascade” d’entreprises et qu’il nous est difficile de trouver l’actionnaire final, un voyant rouge s’allume de notre côté.
Autre mesure importante en lien avec notre culture d’intelligence et de protection économique, et c’est une autre particularité du SOFINS : nous ne distribuons pas de catalogue, qui sont à mon sens une grossière erreur dans le milieu de l’armement. Nous ne souhaitons pas référencer sur papier les meilleurs équipementiers car nous ne savons pas dans quelles mains ces informations pourraient finir. Les seules personnes qui auront connaissance des exposants présents au SOFINS sont celles qui viendront au salon et qui auront passé un filtre de sécurité avant d’y participer. Et pour terminer, la maîtrise des armements au sein de l’État-Major des Armées (EMA-MA) contrôle chaque exposant, notamment la veille de l’événement, avec parfois des rappels à l’ordre incitant les entreprises à ne pas montrer leur produit à certains publics.
Vous êtes directeur de l’EEIE. Pensez-vous que les entreprises de l’industrie de défense ont réussi à appréhender et à intégrer les enjeux d’intelligence ?
Oui, mais ça dépend du niveau. Chez les grands industriels comme Thales ou Airbus, il y a cette culture. D’autres, qui ont pour priorité de vendre, s’assoient parfois sur ces enjeux. Car dans les faits, c’est bien gentil de dire à une entreprise qu’elle n’a pas le droit de vendre à telle composante militaire, ou à tel partenaire, mais c’est parfois vital pour la société.
Dans ces cas de refus, il faudrait que l’État français apporte une réponse économique, comme un prêt garanti par l’État (PGE), à l’entreprise en question si celle-ci ne peut pas exporter son produit. S’il n’y a pas ce type de réponse, c’est difficile de dire à l’entreprise de ne pas aller plus loin.
Le SOFINS est un “petit” salon d’expertise.
Benoît de Saint Sernin, Le Cercle de l’Arbalète
Quel regard portez-vous sur “l’économie de guerre” ?
Aujourd’hui, la définition de “l’économie de guerre” n’est pas complétement “carrée“. Est-ce qu’elle désigne notre capacité à produire plus, comme passer de cent à mille treillis par jour ? Ou bien signifie-t-elle “participer à la guerre” et générer une production plus importante ? L’État peut demander à des entreprises d’être prêtes à faire mille treillis par jour, mais cela a un coût et ça s’appelle les stocks. Est-ce à l’entreprise de supporter complétement ce coût ou à l’État ? Pour l’instant, nous n’y sommes pas encore.
Quelles sont les deux start-ups à suivre durant ce SOFINS 2023 ?
FLY-R dévoilera son drone autonome (R2-120 RAIJIN) conçu pour le rôle de munition rôdeuse. C’est une vraie réussite française ! Il y a aussi Namma, qui propose une imprimante 3D hybride, multi-matériaux et grand format. C’est une technologie qui peut s’avérer particulièrement intéressante dans le cadre du maintien en condition opérationnelle (MCO).
Que pouvons-nous souhaiter au Cercle de l’Arbalète et au SOFINS pour la prochaine décennie ?
L’objectif est clair : nous ne voulons pas grossir. Il y a au Cercle de l’Arbalète une réelle volonté de ne pas augmenter le volume mais la qualité des participants. Je ne veux surtout pas rattraper Eurosatory – chose que je ne pourrais jamais faire. Le SOFINS est un “petit” salon d’expertise.
Nous ne souhaitons pas déménager. À Souge, nous investissons dans différents équipements, pour aider le 13e RDP et bénéficier d’une meilleure installation lorsque nous organisons le salon.
Avez-vous un livre de chevet géopolitique et/ou historique à conseiller à nos lecteurs ?
Je lis beaucoup de livres d’anciens des forces spéciales qui racontent des opérations. Parfois, certains en racontent un peu trop et cela crée quelques agacements au sein de la communauté. Soldat de l’ombre, au cœur des forces spéciales, le livre de l’ancien GCOS Christophe Gomart – qui s’apprête d’ailleurs à en sortir un nouveau – était excellent.
Je conseille également à vos lecteurs la lecture des deux bandes dessinées Forces spéciales, basées sur une idée du Cercle de l’Arbalète et publiées aux éditions Glénat. Les histoires de ces BD ont été données par ceux qui les ont vécues « pour de vrai ». Les militaires qui sont dessinés dans le tome 2, Chasse à l’homme dans les Balkans, existent bel et bien.