« Vers la guerre ? » de Sébastien Lecornu : un appel au réalisme stratégique

Au moment où l’actualité internationale se fait chaque jour plus anxiogène, entre guerre en Ukraine, tensions en mer Rouge et prolifération des menaces hybrides, le ministre des Armées Sébastien Lecornu publie Vers la guerre ? (Plon, 2024). Le point d’interrogation n’est pas une précaution rhétorique, mais une invitation au sursaut. Ce livre n’a rien du bilan de fin de mandat : c’est un texte de combat, où l’auteur met cartes sur table, sans filtre, ni langue de bois. À bien des égards, Vers la guerre ? est une alerte, mais une alerte documentée, politique, et profondément stratégique.
Le style est direct, l’intention claire : réarmer le pays — dans ses capacités, dans son industrie, mais surtout dans sa conscience collective. « Notre société est-elle prête à faire les sacrifices nécessaires pour sa sécurité ? », interroge Lecornu, convaincu que la défense ne peut plus être un sujet périphérique. Ni simple affaire de militaires. Ni simple affaire budgétaire.
Une alerte politique sur le réarmement
Plutôt qu’un essai académique, Lecornu livre une plongée dans les dilemmes contemporains du ministère des Armées. Il y évoque les lenteurs bureaucratiques, les logiques de silo, les arbitrages budgétaires douloureux. Il raconte les choix — parfois solitaires — qu’il a dû assumer : refuser de lancer un satellite d’observation CSO depuis le sol américain, maintenir les ambitions spatiales face aux coupes proposées, ou encore encadrer la communication publique des armées devenue parfois trop « séduisante » au détriment de la sobriété stratégique.
L’auteur ne s’égare jamais dans la complaisance ou le fatalisme. Il assume que l’armée n’est pas là pour flatter, mais pour agir. Et que la guerre, si elle devait advenir, ne ressemblerait en rien aux conflits du passé. L’homme et la machine, l’espace informationnel, la souveraineté logistique… autant de lignes de faille que Lecornu prend le temps de nommer, sans technicité abusive.
Sur le fond, le ministre défend une vision singulière de la souveraineté. Pas seulement celle de produire des armes, mais aussi celle de les maintenir, de les exporter, et de pouvoir le faire sans les autres. Il rappelle que « sans exportations, il aurait fallu 500 milliards pour notre LPM au lieu de 413 », soulignant à quel point l’économie de défense est au cœur du contrat social de sécurité.
Une critique lucide du désengagement civique
Lecornu tacle au passage une forme de paresse intellectuelle qui entoure aujourd’hui les questions de défense : « Les affaires militaires ont fait l’objet par le passé de débats nourris […]. Or, on assiste aujourd’hui à un profond désintérêt ». Ce désintérêt, il le lie à une illusion de paix perpétuelle, à une forme d’infantilisation collective face à la violence du monde réel.
Vers la guerre ? est un texte utile, car il ose poser les vraies questions. Celles que certains responsables éludent. Faut-il rétablir le service militaire ? Peut-on encore parler d’armée expéditionnaire ? Quel rôle pour les drones suicides ? Quel modèle économique pour soutenir la BITD ? Faut-il penser une « finance de guerre » ?
En somme, ce livre est autant une pédagogie du réel qu’un manifeste politique. Il ne cherche pas à rassurer, mais à responsabiliser. Et c’est sans doute là sa principale vertu.