La guerre en Ukraine a profondément transformé la nature du combat : entre images satellitaires, drones FPV et réseaux sociaux, « on peut voir derrière chaque buisson », déclare le général Thierry Burkhard dans un entretien avec The Economist. Cette transparence inédite fait de la dissimulation un vœu pieux et contraint les armées européennes à repenser leur effort de défense, tant sur le plan industriel que tactique et organisationnel.
Maîtriser l’économie de la létalité et l’intégration interarmes
Le premier enseignement porte sur l’économie de la létalité. D’un côté, les missiles de croisière SCALP – relancés en production après quinze ans d’interruption – incarnent les « Ferrari » de la guerre : coûteux, produits en nombre limité, mais capables de neutraliser des objectifs stratégiques à longue portée. De l’autre, les vagues de drones à quelques milliers d’euros l’unité ou les munitions rôdeuses submergent les défenses, épuisant les stocks et forçant à multiplier les tirs. « Vous avez besoin de Ferrari de temps en temps, mais vous ne gagnerez pas la guerre qu’avec des Ferrari », insiste le chef d’état-major des Armées Thierry Burkhard. L’Occident doit donc développer à la fois des systèmes haut de gamme et des productions de masse à bas coût, quitte à accepter un risque mesuré pour préserver ses capacités de frappe décisive.
Le second enseignement concerne l’intégration tactique et organisationnelle. En 1940, tous les États européens possédaient blindés, artillerie et aviation, mais seule l’Allemagne sut les coordonner dans la Blitzkrieg. Aujourd’hui, « tout le monde a des drones », observe le général, mais la victoire ira à ceux qui parviendront à synchroniser forces terrestres, aériennes et maritimes dans des cycles décisionnels ultra-rapides. Il est donc nécessaire d’avoir des chaînes de commandement raccourcies, une délégation de la décision aux échelons tactiques et des exercices réguliers de manœuvre conjointe, afin que chaque chef de section puisse saisir l’initiative et rebondir face aux imprévus.
Innover face à un réarmement russe rapide
Face aux essaims de drones adverses, la France explore également les armes à énergie dirigée – lasers et canons électromagnétiques – promises à griller l’électronique ennemie sans munition consumable, pour peu que soient résolus les défis énergétiques et de cadence de tir. Parallèlement, les filières duales, capables de pivoter en quelques semaines de la production civile à la fabrication de munitions low cost, sont devenues une priorité industrielle.
Le général Burkhard alerte sur la rapidité du réarmement russe : « La Russie se réarme suffisamment rapidement pour constituer une menace réelle pour l’Europe d’ici cinq ans ». Lors de sa conférence de presse du 11 juillet, il a insisté : « Ce qui est le plus dangereux est aussi ce qui devient le plus probable » et ajouté craindre « que la Russie ne tienne cinq minutes de plus que nous ». Ces avertissements traduisent l’urgence d’un haut niveau de préparation et appellent à « gagner la guerre avant la guerre » – c’est-à-dire à manifester en permanence, même en temps de paix, une volonté ferme et des capacités tangibles.
Pour y répondre, la France, aux côtés de ses partenaires européens, doit bâtir une posture crédible et résiliente, mariant la précision chirurgicale des « Ferrari » de la haute technologie à la force d’usure des munitions low cost.