L’État acquiert les supercalculateurs Atos pour la dissuasion nucléaire et la souveraineté technologique
Atos se sépare de son activité Advanced Computing dans le cadre d’une offre ferme formulée par l’État français, qui valorise les supercalculateurs à 410 millions d’euros, assortis de 110 millions d’euros de compléments de prix conditionnels. Cette annonce intervient après des négociations exclusives entamées en novembre 2024, dans un contexte de restructuration financière lourde pour le groupe. L’offre implique la reprise de près de 2 500 emplois et couvre un chiffre d’affaires estimé à 800 millions d’euros pour 2025. L’objectif pour Bercy est de préserver une filière nationale jugée « souveraine » et essentielle pour la dissuasion nucléaire et la recherche scientifique.
Au cœur de ce dossier se trouvent les supercalculateurs d’Atos, des machines indispensables à la fois pour la défense nationale et la recherche scientifique. Hérités du groupe Bull, acquis en 2014, ces systèmes de calcul haute performance (HPC) sont utilisés, notamment, par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) pour la simulation nucléaire. Leur rôle s’étend également à des applications civiles majeures, comme les prévisions météorologiques ou les modélisations climatiques. Seul fabricant européen de supercalculateurs – aux côtés de poids lourds américains tels que HPE et chinois comme Lenovo – Atos détient un savoir-faire que l’État considère comme un « joyau stratégique ».
Structure de l’offre de l’État
L’offre de 410 millions d’euros porte sur l’activité Advanced Computing d’Eviden, l’entité du groupe dédiée aux technologies avancées. Elle comprend les divisions « Calcul Haute Performance » et « Quantique », ainsi que « Business Computing & Intelligence Artificielle ». En revanche, les activités « Vision AI » (notamment la start-up Ipsotek acquise en 2021) sont expressément exclues du périmètre. Ces activités vidéo enrichies par l’intelligence artificielle, qui représentaient plus d’un tiers de la marge opérationnelle initiale, restent donc sous le contrôle d’Eviden. Ce recentrage explique en partie la dépréciation de la valorisation initiale, estimée entre 500 millions et 625 millions d’euros lors de l’ouverture des discussions.
Les 110 millions d’euros de compléments de prix se répartissent en deux tranches : 50 millions à verser à la clôture de la transaction si les objectifs 2025 sont atteints, puis 60 millions supplémentaires en 2026. La finalisation de l’opération est programmée pour mi-2026, après validation des autorités et conclusion des aspects juridiques. Atos a d’ores et déjà validé l’offre sur la base du rapport de son expert indépendant, qui a confirmé la juste valeur de marché du périmètre cédé.
Impact sur la trajectoire financière d’Atos
Malgré cette cession majeure, Atos maintient sa trajectoire financière présentée lors de son Capital Markets Day du 14 mai 2025. Le groupe ne prévoit pas de révision de ses objectifs 2028, même après la vente des supercalculateurs. Dans un contexte de restructuration amorcée en 2023, cette opération permet à Atos de réduire son exposition aux activités sensibles et de se recentrer sur les services IT à forte valeur ajoutée (cloud, cybersécurité, intelligence artificielle). La cession libère des ressources financières et opérationnelles, tout en rassurant les investisseurs sur la capacité d’Atos à stabiliser son bilan.
En parallèle, la perte récente d’un appel d’offres pour un supercalculateur auprès du ministère des Armées, remporté par le tandem Orange-HP, a mis en évidence les pressions concurrentielles auxquelles fait face le pôle HPC français. Cette situation souligne l’importance pour l’État de prendre les rênes de cette activité afin d’investir et de soutenir la compétitivité des infrastructures nationales de calcul avancé.
Perspectives et réorganisation future
À partir de mi-2026, l’État français prendra officiellement en main les supercalculateurs, ouvrant la voie à des investissements dans la recherche quantique et l’IA de nouvelle génération. À court terme, la priorité sera d’assurer la transition opérationnelle et de confirmer les performances financières pour déclencher les compléments de prix. Pour Atos, la cession constitue un pas vers la consolidation de son portefeuille : l’entreprise pourra concentrer ses efforts sur le développement de services cloud, de solutions de cybersécurité et d’applications IA à forte valeur ajoutée.
Par ailleurs, la réorganisation d’Eviden inclura désormais une nouvelle division « Vision AI », basée au Royaume-Uni, afin de maintenir le développement de l’analyse vidéo enrichie par l’IA. Cette séparation permettra à Atos de valoriser ses compétences dans un secteur en pleine croissance, tout en offrant à l’État l’opportunité d’adosser les supercalculateurs à un futur partenaire industriel ou technologique. Sur la scène européenne, l’opération illustre la volonté de la France de maintenir une capacité de calcul souveraine, source d’attractivité pour les projets de recherche et les partenariats industriels à venir.