« Nous croyons à la méthode Rafale » : Eric Trappier défend un pilotage du SCAF à la française
L’heure est grave pour le Système de Combat Aérien du Futur (SCAF). À Berlin, ce mercredi 23 juillet, Emmanuel Macron et Friedrich Merz tenteront de relancer un programme devenu le symbole des impasses industrielles de la défense européenne. Tandis que la phase 2 – cruciale pour la fabrication du démonstrateur – reste bloquée, les tensions entre Dassault Aviation et Airbus ne cessent de s’aggraver. Au cœur du bras de fer : l’absence de pilotage clair, que le PDG de Dassault, Éric Trappier, dénonce désormais ouvertement.
Quand Eric Trappier dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas
Lors de la présentation des résultats semestriels de Dassault Aviation ce mardi 22 juillet 2025, Eric Trappier n’a pas mâché ses mots. « La question n’est pas de savoir si Dassault quitte ou non [le programme], mais bien de savoir si le projet peut continuer », a-t-il déclaré, estimant que le consortium ne pouvait « pas continuer ainsi ». Le ton est ferme, sans formuler explicitement un ultimatum. Mais le message est limpide : l’architecture actuelle, fondée sur une gouvernance à trois têtes – Dassault pour la France, Airbus pour l’Allemagne et l’Espagne – paralyse les décisions.
« Je ne pense pas qu’un projet industriel ambitieux puisse réussir sans un leader clairement identifié. Donnez-moi un exemple d’un projet de cette ampleur qui fonctionne sans un chef d’orchestre », a-t-il insisté. Critiquant vivement une organisation où « toutes les décisions doivent être prises par vote avant chaque avancée », et demandant la désignation d’un véritable « architecte » capable de trancher techniquement, de choisir ses sous-traitants et de réorienter si nécessaire.
« Je veux pouvoir sélectionner les sous-traitants avec lesquels je veux travailler. Et si le travail n’est pas bien fait, je veux pouvoir en changer », a-t-il affirmé. Pour Dassault, c’est une question de cohérence industrielle, de responsabilité, mais aussi d’efficacité. Il a ajouté : « Il faut clarifier les rôles et les obligations de chacun. Et surtout, il faut un leadership clair. »
Dassault Aviation dément vouloir contrôler 80 % du programme NGF
L’industriel réfute en revanche l’idée que Dassault chercherait à contrôler 80 % du programme NGF, comme l’ont rapporté certains médias. « Ce n’est pas du tout ce que nous voulons », a-t-il assuré. Citant à l’inverse l’exemple du démonstrateur européen nEUROn : « Nous n’avons pas fait 80 % du travail. Nous avons fait notre part, et nous étions heureux de sous-traiter. »
Mais la comparaison avec nEUROn, projet européen piloté avec succès par Dassault dans les années 2010, souligne à ses yeux l’écart avec la gestion actuelle du SCAF. « Nous ne croyons pas à la structure de management du programme Eurofighter. Nous croyons à la méthode Rafale. Nous croyons à une approche autonome », a lâché Eric Trappier, critiquant indirectement le modèle défendu par Airbus.
Le rapport sénatorial « 2040, l’odyssée du SCAF », publié en 2023, rappelait déjà les faiblesses structurelles du programme. Conçu autour de sept piliers – chacun attribué à un industriel leader et un partenaire principal – le programme devait permettre une division claire des responsabilités : Dassault pour le NGF, Safran/MTU pour le moteur, Airbus/MBDA pour les drones, Thales pour le cloud, Indra pour les capteurs, etc. Une logique de « meilleur athlète », censée tirer parti des expertises existantes, mais qui peine à s’imposer dans les faits.
Faute d’accord, le démonstrateur pourrait glisser vers 2045… ou l’échec
La Direction générale de l’armement (DGA), qui pilote le programme pour la France, plaide elle aussi pour une révision du partage des responsabilités. Elle propose une réorganisation plus fonctionnelle, non figée par les quotas nationaux. L’objectif reste de tenir le calendrier : faire voler un démonstrateur en 2028 pour viser une mise en service vers 2040. Mais à ce rythme, le scénario glisse déjà vers 2045.
La pression monte aussi sur le plan politique. À Berlin, plusieurs élus du Bundestag s’inquiètent d’une « prise de contrôle » française du programme. Christoph Schmid, député SPD, a déclaré que si le SCAF devenait un programme mené par la France mais financé par l’Allemagne, « le Bundestag aurait des réserves ».
Le sommet franco-allemand de Berlin doit préparer un accord en vue du conseil des ministres bilatéral prévu fin juillet. Mais à ce stade, rien ne garantit que Paris et Berlin parviendront à combler le fossé. Si aucun compromis politique clair ne se dégage, le SCAF pourrait bien devenir, non plus le démonstrateur de l’Europe de la défense, mais celui de ses failles systémiques.