Le débat sur le futur avion de combat canadien sort du registre technico-industriel pour devenir un vrai choix d’orientation stratégique. Après la visite d’État du roi Carl XVI Gustaf, Ottawa ne discute plus seulement de calendrier de livraisons de F-35, mais de la possibilité d’introduire le Gripen suédois dans la flotte.
Saab a profité de la séquence pour remettre son offre sur la table : ligne d’assemblage, centre de R&D et hub de production Gripen au Canada, à condition qu’Ottawa commande l’appareil. Sans Gripen aux couleurs de l’Aviation royale canadienne (ARC), pas de transfert massif de technologie, prévient le PDG Micael Johansson. L’enjeu est clair : faire du Canada un pilier de la chaîne Gripen, capable de répondre à la demande européenne et aux besoins ukrainiens, tout en offrant 9 000 à 10 000 emplois sur plusieurs années.
Derrière, c’est le format de l’aviation canadienne qui est en question. Un « tout F-35 », c’est la cohérence : un seul standard furtif, optimisé pour la première entrée dans un espace défendu, au cœur des architectures de données NORAD et OTAN, particulièrement au-dessus de l’Arctique. Une flotte mixte avec des Gripen en complément, c’est une promesse différente : davantage d’avions, plus de bases possibles, des rotations rapides sur pistes courtes pour épaissir la défense de sites sensibles. Mais aussi une logistique doublée, des formations séparées et des stocks multipliés.
Les anciens chefs de la Royal Canadian Air Force (RCAF) y voient une dispersion coûteuse et dangereuse. La ministre de l’Industrie Mélanie Joly, elle, brandit clairement la piste Gripen comme levier face à Washington, sur fond de guerre commerciale et de révision de la politique industrielle de défense. En fonction de la répartition de ces 88 appareils, le Canada dira jusqu’où il accepte la dépendance au système américain, combien il mise sur un ancrage avec la Suède et quelle place il veut prendre, demain, dans la sécurité du flanc nord de l’Alliance.
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