La guerre est un bruit sourd qui ne cesse jamais. Elle évolue, mute, surprend. Elle ne se joue pas seulement sur le terrain, mais aussi dans ce que l’on sait – ou croit savoir – de l’ennemi. C’est là qu’intervient la Direction du renseignement militaire (DRM), bras invisible de la France face aux incertitudes du monde.
À sa tête, le général Jacques Langlade de Montgros. Un officier qui parle sans détour, avec la précision d’un homme habitué à voir au-delà des apparences. Son rôle ? Réduire l’incertitude. “Ma mission, en tant que DRM, est de diminuer le niveau d’incertitude, en élaborant un renseignement recoupé sur la base d’informations collectées de la façon la plus variée possible – capteurs humains, imagerie, électromagnétique, cyber”, déclarait-il en juillet 2023 devant les députés de la commission de la défense.
Anticiper, décider, agir : la logique des trois temps
Le renseignement ne se limite pas à photographier le présent. Il doit anticiper, orienter, agir. “J’agis dans les trois temps du renseignement, le temps long de l’anticipation, le temps moyen de la décision et le temps court de l’action.”
Anticiper, c’est identifier les signes faibles avant qu’ils ne deviennent des crises. Décider, c’est donner aux autorités des éléments clairs dans la complexité. Agir, c’est fournir aux forces engagées les informations dont elles ont besoin pour frapper juste.
Sans le renseignement, la guerre n’est pas possible. Et sans la possibilité de la guerre, la paix n’existe pas. […] L’ombre est notre domaine, notre amie, dans la victoire comme dans la défaite. — Le Bureau des Légendes
Mais encore faut-il discerner ce qui compte. “Il faut essayer, dans la masse d’informations que nous collectons au quotidien, de discerner l’essentiel de l’accessoire”, indique-t-il dans le dernier numéro de la revue Esprit défense du Ministère des Armées.
L’Ukraine est l’exemple parfait de cette lucidité nécessaire. Chaque nouvelle arme envoyée à Kiev, chaque avancée technologique de Moscou est analysée comme un potentiel basculement du conflit. Le général était catégorique en juillet 2023 lors d’une audition parlementaire à huis clos sur la situation en Ukraine : “Il n’existe aucun game changer. On entend souvent dire çà et là que tel armement livré à l’Ukraine ou produit par la Russie modifiera le cours de la guerre. Je n’y crois absolument pas.“
Guerre informationnelle et propagande : brouiller les lignes
L’histoire militaire l’a prouvé : pour chaque nouvelle menace, une parade est trouvée. “Nous assistons chaque jour à une adaptation réactive permanente du glaive et du bouclier“, enchérissait-il à la même époque. Une technologie qui effraie aujourd’hui sera obsolète demain.
Dans ce monde saturé d’images et de récits, l’information est un champ de bataille en soi. “En matière de propagande, les deux belligérants utilisent l’arme de l’information et de l’influence comme un outil qu’ils inscrivent dans leurs stratégies globales, combinant, dans chaque manœuvre, les effets cinétiques et les effets d’influence.“
Tout le défi du renseignement militaire est de ne pas se laisser enfermer dans ces narratifs. “Les médias ont parfois plus de facilité à rapporter ce qu’ils voient d’un côté ou de l’autre ; ma mission est d’apprécier la situation des deux côtés, pour porter le jugement le plus équilibré possible.“
Dans cette guerre de l’information, la tentation est grande de tout révéler, de montrer ses cartes en pensant peser sur les événements. Mais une surexposition peut être une faiblesse. “Le bien le plus précieux d’un service de renseignement, ce sont ses accès.“
Les Américains l’ont appris à leurs dépens. Ils “ont déclassifié à outrance au début de la guerre en Ukraine. Ils l’ont d’abord fait pour tenter d’infléchir la décision de Vladimir Poutine d’envahir ce pays. Force est de constater que ça n’a pas vraiment fonctionné. Plus généralement, la déclassification du renseignement peut engendrer une certaine forme d’addiction, qui peut se retourner contre celui qui déclassifie. Les Américains ont continué à déclassifier après l’invasion en Ukraine. Et quand le gazoduc Nord Stream 2 a explosé, ils n’ont rien déclassifié. Résultat : des interrogations se sont fait jour. Ce qui peut provoquer l’inverse de l’effet escompté.” Trop de lumière peut aveugler autant que l’ombre.
Mais au-delà des calculs stratégiques, il y a les réalités du terrain. Celles et ceux qui veillent, qui scrutent, qui analysent. Ceux qui savent que la guerre ne connaît pas de jours fériés. “Les crises ne se passent pas qu’en jours ouvrés, entre 9 h et 17 h… C’est même souvent le week-end, de jour comme de nuit… Ou plus exactement, elles débutent souvent le vendredi soir.“
Dans cette maison où l’urgence est la norme, l’engagement est total. “Celles et ceux qui viennent à la DRM ne se posent pas trop de questions pour se lever le matin. Le contexte stratégique donne beaucoup de sens à l’action quotidienne de chacun.“
Parce qu’ici, la mission est simple : voir clair là où d’autres ne voient que du brouillard.
Para victoriam