Alors que les tensions entre l’Union européenne et la Chine atteignent un niveau inédit, la députée Sophia Chikirou (LFI) publie un rapport parlementaire en complet décalage avec la ligne de fermeté adoptée par Bruxelles. Derrière une rhétorique de paix, de coopération scientifique et de multilatéralisme, elle propose une série de mesures qui inquiètent tant elles minimisent les menaces d’espionnage économique, d’ingérence académique et de conflit stratégique.
Fin juin, la députée a présenté à l’Assemblée nationale son rapport sur les relations entre l’Union européenne et la Chine dans un « monde en transition ». Elle y plaide pour un dialogue stratégique renouvelé avec Pékin, pour le renforcement des coopérations scientifiques et technologiques, et pour un désengagement des « logiques d’affrontement » qui, selon elle, bloquent aujourd’hui les relations bilatérales. Dès l’introduction, la députée fustige « l’alignement de l’Union européenne sur la stratégie américaine de confrontation », regrettant une Europe « prisonnière d’une vision binaire de la Chine ».
Cette prise de position tranche avec la posture de plus en plus défensive que l’Union adopte face aux ambitions chinoises.
Un climat de confrontation croissante
Le sommet UE-Chine, prévu fin juillet à Pékin, devait célébrer les cinquante ans de relations diplomatiques. Mais les préparatifs tournent au fiasco. Selon le South China Morning Post, le ministre chinois des Affaires étrangères aurait confié à Bruxelles que Pékin ne comptait pas réduire son soutien à Moscou, par crainte que Donald Trump ne profite d’un affaiblissement russe pour concentrer ses attaques sur la Chine. Ce message a refroidi les discussions.
En parallèle, la Chine multiplie les cyberattaques, interfère dans les démocraties européennes et continue de pratiquer un commerce jugé déloyal par Bruxelles. « Ces actions nuisent à la sécurité et à l’emploi en Europe », a récemment dénoncé Kaja Kallas, cheffe de la diplomatie européenne. Ursula von der Leyen, elle, accuse Pékin de promouvoir un « modèle de domination, de dépendance et de chantage ».
Face à cette réalité, l’Union européenne renforce ses défenses : exclusion de certaines entreprises chinoises des marchés publics, contrôle accru des plateformes de vente à bas prix comme Shein ou Temu, et mise en place d’un groupe de surveillance des importations industrielles. L’objectif reste clair : protéger les filières européennes, éviter une dépendance technologique, et rétablir des conditions de concurrence équitables.
Des propositions à haut risque
Dans ce contexte, les recommandations de Sophia Chikirou interrogent. Elle propose de relancer les cotutelles de thèses entre chercheurs européens et chinois, de renforcer les coopérations scientifiques dans des secteurs stratégiques, de réviser les mécanismes de contrôle des investissements étrangers jugés trop rigides, et d’assouplir certaines restrictions technologiques. Elle invite aussi l’Europe à s’émanciper de l’influence américaine, au nom d’une « autonomie stratégique » favorable à la paix.
Mais en l’absence de garde-fous, ces propositions inquiètent. Depuis plusieurs années, les services de renseignement français tirent la sonnette d’alarme sur les ingérences chinoises dans les laboratoires sensibles. En 2022, un rapport classifié commandé par l’Élysée a confirmé la multiplication des infiltrations dans les centres de recherche stratégiques. Ce document pointait la mauvaise application des zones à régime restrictif (ZRR), censées limiter l’accès de certains acteurs étrangers aux projets sensibles.

Des incidents ont été rapportés à Strasbourg, Metz, ou encore dans des écoles membres du cluster ParisTech. Plusieurs établissements ont collaboré avec des institutions chinoises proches de l’Armée populaire de libération. Le Harbin Institute of Technology, par exemple, rattaché à une agence chargée de développer les armements de l’APL, entretient des liens étroits avec Centrale Nantes, l’INP Grenoble ou encore l’Institut Pprime (CNRS) à Poitiers. Ces partenariats, souvent opaques, échappent aux mécanismes de contrôle.
Lucidité ou complaisance ?
La députée choisit d’ignorer ces signaux d’alerte. Son rapport reprend sans distance critique la rhétorique chinoise sur la paix, le multilatéralisme et la complémentarité des modèles. Elle élude les objectifs stratégiques poursuivis par Pékin dans ses coopérations scientifiques : accès aux technologies duales, transfert de savoir-faire, et renforcement de ses capacités industrielles et militaires.
Cette posture soulève un malaise d’autant plus fort que la Chine, dans le même temps, cherche à réactiver l’accord global sur les investissements (AGI), contourner les sanctions européennes et regagner un accès privilégié au marché des technologies avancées. Pékin tente d’apparaître comme un partenaire commercial constructif, tout en multipliant les mesures de rétorsion et les gestes d’influence à l’égard de certains pays membres.
Le rapport de Sophia Chikirou prétend défendre la paix et le dialogue, mais il en oublie les rapports de force. Le climat géopolitique ne se prête plus à la naïveté. En 2025, la Chine reste un acteur structurant de l’économie mondiale, mais aussi un compétiteur stratégique assumé, déterminé à imposer ses intérêts. L’Europe ne peut plus se permettre d’ouvrir ses laboratoires, ses marchés et ses universités sans discernement, sous peine de compromettre sa souveraineté scientifique, industrielle et sécuritaire. Refuser l’alignement sur Washington ne doit pas conduire à baisser la garde face à Pékin. L’autonomie stratégique suppose d’abord la lucidité.