Le Rafale a changé de terrain. Ce n’est plus seulement dans les airs qu’il doit prouver sa supériorité, mais aussi dans le champ invisible de la guerre informationnelle. Depuis les affrontements entre l’Inde et le Pakistan en mai, une campagne coordonnée vise à fragiliser son image. Et derrière cette manœuvre, la Chine avance masquée d’après une enquête de l’AP.
Une perte tactique exploitée comme levier d’influence
Selon plusieurs sources françaises, des attachés de défense chinois ont rencontré discrètement des responsables de pays clients ou potentiels de Dassault Aviation pour critiquer les performances du Rafale. Leur objectif : convaincre ces partenaires de préférer des avions chinois.
En parallèle, une vague de contenus viraux a envahi les réseaux sociaux : comptes fraîchement créés, vidéos de jeux vidéo présentées comme authentiques, images trafiquées ou générées par intelligence artificielle. Le récit martelé présente le Rafale comme vulnérable face aux missiles chinois.

Un fait symbolique donne du poids à cette offensive : pour la première fois depuis sa mise en service en 2001, un Rafale (BS001) a été perdu au combat. L’Indian Air Force l’a engagé dans une opération dans la nuit du 6 au 7 mai, baptisée Sindoor, pour frapper des positions terroristes au Pakistan. L’armée pakistanaise a réagi vite, en s’appuyant sur une défense aérienne bien préparée. Des analystes en sources ouvertes (OSINT) ont confirmé la destruction d’un Rafale à partir de photos montrant une dérive et un réacteur. Une autre image, localisée ailleurs, évoque la perte d’un second appareil, sans confirmation officielle.
Entre prudence officielle et pression concurrentielle
L’Inde, qui exploite déjà 36 Rafale et en a commandé 26 autres pour sa marine, n’a pas publié de bilan précis sur les pertes subies. Le Pakistan affirme avoir abattu trois Rafale, mais aucun élément solide ne le prouve. De son côté, l’État-major français a appellé à la prudence. Le 27 mai, le colonel Guillaume Vernet, porte-parole de l’État-major des Armées, a déclaré : « On peut surtout constater qu’il y a eu vingt années d’emploi du Rafale et que s’il était avéré qu’il y avait eu une perte, ce serait la première au combat. »
Les partenaires étrangers ont naturellement cherché à comprendre. « Bien sûr, toutes les nations qui ont acheté des Rafale se sont posé des questions », a reconnu le général Jérôme Bellanger, chef d’état-major de l’armée de l’Air et de l’Espace. Dans un marché aussi concurrentiel, chaque perte devient un enjeu stratégique.
Mais dans cet affrontement, le missile semble avoir joué un rôle plus décisif que l’avion lui-même. Le Rafale indien aurait été touché par un PL-15, un missile air-air longue portée que la Chine fournit au Pakistan. Ces engins de type Beyond Visual Range (BVR) frappent leurs cibles à plusieurs dizaines, voire centaines de kilomètres. « Entre “on me détecte” et “on me tire dessus”, il n’y a plus de différence », résume un pilote de chasse.
Le Rafale face à la stratégie d’influence chinoise
Ce type de confrontation met en lumière un nouveau paradigme : le combat aérien ne repose plus uniquement sur l’appareil, mais sur tout l’écosystème qui l’entoure. Le système Spectra, qui assure la guerre électronique et l’autoprotection du Rafale, reste une référence mondiale. Mais cela ne suffit pas toujours. Le spécialiste Frédéric Lert le résume ainsi : « C’est une mauvaise surprise opérationnelle pour l’Inde, mais l’avion n’est pas seul en cause. Le combat aérien, c’est tout un système qui comprend aussi le renseignement, les choix tactiques, les règles d’engagement, la formation des pilotes, etc. »

Cette séquence dépasse l’incident militaire. Elle s’inscrit dans une logique d’influence plus large, que Pékin active pour freiner l’ascension industrielle et stratégique française en Indo-Pacifique. L’Indonésie, déjà cliente à hauteur de 42 Rafale, pourrait annoncer une nouvelle commande de 24 appareils lors de la venue de son président au 14 juillet. La Chine cherche à fragiliser ce partenariat avant l’échéance.
Le ministre des Armées Sébastien Lecornu a résumé l’enjeu dans une interview à Var-Matin : « Être capable de vendre des avions de chasse, c’est faire partie de la cour des grands. Et dans la cour des grands, le degré de compétition est d’une brutalité inouïe. Le Rafale qui connaît aujourd’hui un très grand succès à l’export, et qui va continuer d’en enregistrer, a été pris pour cible parce qu’il dérange. » Le Rafale n’a pas dit son dernier mot. Face aux concurrents industriels, il a su tenir son rang. Face aux campagnes informationnelles, il devra maintenant aussi tenir la ligne.