Entretien avec François Brion, directeur de la société PGM Précision (5 millions d'euros de CA en 2022) qui fête ses 30 ans en 2023. Pour l'occasion, nous revenons avec lui sur le parcours de l'Ultima Ratio, la Rolls-Royce des fusils de haute précision en service depuis trois décennies dans les unités d'élite françaises (GIGN, RAID, BRI, forces spéciales, etc.), sur la désindustrialisation du segment "petit calibre" ou sur l'évolution du marché de la haute précision.
Il y a trente ans l'aventure de PGM Précision débutait. Quel regard portez-vous sur cette réussite industrielle française ?
Notre histoire débute en 1991, avant la création officielle de PGM Précision. Par l’intermédiaire de connaissances, Gilles Payen, le fondateur de PGM, fabrique le fusil de haute précision Ultima Ratio pour l’unité d’élite du RAID. Depuis, nous n’avons cessé d’offrir un savoir-faire français quasiment unique au monde à nos clients. Gilles Payen, qui avait commencé l’aventure au sous-sol de son chalet à La Chambre (Savoie) en fabriquant des armes pour son propre usage, veille sur nous au "pays des flingues".
Pour ma part, j’ai rejoint l’entreprise en 2004 avec une forte volonté d’élargir le domaine de compétences de PGM, tout en restant à la pointe de la technologie. Je suis persuadé que de nos jours, la seule manière de nous démarquer, c’est avec la qualité de nos produits.
Aujourd’hui, PGM ce ne sont pas uniquement les fusils – que nous exportons auprès de forces d’interventions ou armées dans près de 60 pays dans le monde. C’est aussi une large gamme d’accessoires dédiés à nos armes et à d’autres équipements du marché. Par exemple, vous pouvez retrouvez notre bipied sur le fusil d'assaut FN SCAR belge.
Ce choix nous permet de gagner des parts de marchés, d’avoir une santé financière stable qui favorisera par la même occasion notre écosystème savoyard. Mon ADN, c'est de fabriquer en France, de défendre un savoir-faire français unique au monde et de faire travailler au maximum mes compatriotes.
30 ans après ses débuts, votre fusil de haute précision Ultima Ratio vient de connaître, en 2022, un petit lifting. Pourquoi ?
Le fusil historique de PGM était en train de pâlir par rapport à d’autres armes du catalogue dont la Mini Hécate 2 avec ses nombreux avantages ergonomiques. En 30 ans, plusieurs innovations ont été implémentées sur l’Ultima Ratio, mais nous arrivions sur une plateforme que nous ne pouvions plus faire évoluer.
Alors que nous menions une réflexion en interne pour sa modernisation, le RAID nous a contactés pour savoir si nous pouvions lui développer une nouvelle version de l’Ultima Ratio. L’une des grandes nouveautés, que nous pouvons retrouver chez nos principaux concurrents, est le pliage de la crosse vers la droite, côté culasse. Ainsi, l’arme pliée dans le sac à dos est moins épaisse et conserve un côté gauche parfaitement lisse. Par ailleurs, nous avons gardé l’une des forces de l’Ultima Ratio : le démontage rapide du canon. Une fonction très appréciée des opérateurs.
L’Ultima Ratio est un fusil “facile”. Quelqu’un qui n’a jamais utilisé un PGM est immédiatement à l’aise. Comme le disait un armurier ancestral du RAID – le surnommé Pol Pot – “derrière un PGM, vous êtes toujours bien”. C’est la marque de fabrique du fusil et c’est cet ADN que nous souhaitions conserver. Le pari est réussi car je suis heureux de vous annoncer que les premiers exemplaires du nouvel Ultima Ratio ont été livrés au RAID en décembre dernier.
Trois ans de recherche et développement ont été nécessaires pour développer cette nouvelle version, quel a été le plus gros défi ?
Ce nouvel Ultima Ratio est un condensé de plusieurs armes du catalogue. Le PGM Ludis, créé en 2013 pour le tir sportif, emporte déjà de futures solutions pour l’Ultima Ratio : un nouveau bloc détente, une nouvelle sûreté ou encore un bipied à démontage rapide. Tout comme la Mini Hécate 2 en 2018-2019 qui emporte une crosse pliante et un bipied d’opposition.
Bien qu'elle soit toujours une arme PGM, le plus gros défi était de savoir si elle allait plaire aux opérateurs. Depuis juillet 2022, il y a eu un énorme engouement avec plus de cent exemplaires vendus. Et cerise sur le gâteau, le RAID en recommande. Le défi est réussi !
Aujourd'hui, nous avons des milliers d'armes PGM là où il y a du sable.
François Brion, PGM Précision
Avez-vous commencé sa commercialisation à l'export ?
Nous avons lancé sa commercialisation à Eurosatory en 2022. Aujourd’hui, l’arme s’exporte bien et cela ne va faire que progresser. Il y a des clients qui ont payé des arrhes, alors que l’arme n’était pas encore disponible à la vente. C’est une belle marque de confiance.
L’Ultima Ratio 1 s’est vendu à près de 4000 exemplaires dans des unités européennes et étrangères très pointues. Objectivement, aujourd’hui, nos plus gros marchés restent la France et le Moyen-Orient. Le marché français est présent, c’est indéniable, mais pour des quantités qui ne sont pas les mêmes qu’au Moyen-Orient.
Quels sont vos meilleurs clients à l'export ?
Nos clients sont des pays dans lesquels la France souhaite exporter. Il faut rappeler, qu’il n’y a rien qui franchi les frontières sans aval, soit du ministère des Armées, soit de la Direction générale des Douanes et Droits indirects (DGDDI), et avec avis du Quai d’Orsay. Aujourd’hui, nous avons des milliers d’armes PGM là où il y a du sable.
Comment a évolué le marché de la haute précision depuis votre arrivée chez PGM Précision ?
Le marché est devenu hautement concurrentiel. Non par la qualité, mais plutôt par la quantité de nouvelles entreprises. Avec parfois des concurrents qui appartiennent à des grands groupes dotés d’une énorme puissance commerciale.
Rappelons que nous sommes une petite équipe (six salariés) et que nous passons par des agents pour certains marchés. Nous réussissons, grâce à notre expertise, à intégrer des groupes qui ne font pas d’armes de précision. Nous pouvons y insérer notre gamme dite “haute précision” permettant ainsi au partenaire d’offrir un package complet au client final.
Les prises de commandes en 2022 ont-elles été à la hauteur de vos attentes, notamment après la crise Covid-19 et la guerre en Ukraine ?
La crise de la Covid-19 a été et est toujours une catastrophe pour les délais. Tous les fournisseurs se sont mis à livrer en retard. Et la guerre en Ukraine c’est, en plus des délais, un désastre pour les prix. Aujourd’hui, tous les fournisseurs augmentent leurs prix. L’inflation est énorme. Nous ne savons pas dire si celle-ci est pilotée, inventée ou réelle.
En tant qu'industriel de la défense, comment faites-vous face à la pénurie de matières premières ? Quelle est la visibilité de vos fournisseurs, comme FN Herstal et Carl Walther ?
C’est une situation générale. Mes fournisseurs ont tous du retard et les facteurs dus à celui-ci sont multiples : de la panne de machine aux arrêts maladie des salariés, en passant par le salarié qui ne veut plus travailler car il a été payé à ne rien faire par l’État pendant la pandémie. Selon les fournisseurs, c’est un mix de tout. Pour la matière première, tout augmente.
Certes, nous ne sommes pas les seuls confrontés à cela, mais j’imagine que si les gens sont aujourd’hui capables de payer deux euros le litre d’essence, certains continueront à s’armer malgré une augmentation des prix du fusil, de la lunette et des munitions.
La Guerre des étoiles avec des fusils laser est encore loin !
François Brion, PGM Précision
Quel regard portez-vous sur "l’économie de guerre" qui questionne beaucoup d’industriels ?
Je me questionne aussi. Pour le moment, on nous parle d’économie de guerre mais nous n’avons pas de commande. Est-ce que le gouvernement à l’argent pour passer commande ? Est-ce que les pays occidentaux qui souhaitent s’armer, à la suite du déclenchement de la guerre en Ukraine, achèteront français ? Je pense qu’il n’y aura rien de français. Par exemple, les 100 milliards d’euros annoncés par l’Allemagne seront de l’achat américain. Est-ce que nous pouvons croire une seconde que les Allemands achèteront français ? Non. C’est une évidence.
Quelles sont vos attentes concernant la LPM 2024-30 ?
Est-ce que l’armement petit calibre fera partie des grandes lignes de la LPM ? Aujourd’hui, l'on parle des drones et des munitions gros calibre mais personne ne parle du 9mm à mettre dans un Glock, d’une 5.56 à mettre dans un HK416 ou d’une 308mm à mettre dans un PGM. Nous faisons la guerre avec quoi ? Aujourd’hui, en Ukraine, je crois que nous ne faisons pas la guerre avec des missiles. Nous faisons la guerre avec le fantassin.
Je reste perplexe sur ces annonces. Cela fait un an que la guerre a commencé en Ukraine et, pour le moment, je n’ai pas de commande officiellement passée en ce sens par le ministère des Armées. Nous sommes pourtant prêts à y répondre rapidement grâce à notre parc machines basé en France. Bien sûr, nous continuons à vendre de la maintenance en condition opérationnelle pour le parc PGM français et pour nos clients étrangers.
En tant que dernier fabricant français de fusils de haute précision, quel regard portez-vous sur la désindustrialisation d'une partie de l'industrie de défense et notamment sur le segment petit calibre ?
C’est une catastrophe ! Nos élites ont-elles imaginé que nous n’allions faire la guerre qu’avec des porte-avions, des Rafale, des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) et des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE). La réalité c’est que nous avons encore besoin de soldats !
PGM Précision est le dernier fabricant de fusils très haute précision (THP). En France, autour de nous, il n’y a rien. Certes, PGM Précision est peut-être suffisant pour le marché français… Mais encore faudrait-il que la France, avec la loi des marchés qu’imposent l’Union Européenne et la libre concurrence, achète français.
Aujourd’hui, je fabrique un fusil comme l’Ultima Ratio mais je n’ai aucune certitude de le vendre demain à l’armée française. Si un jour celle-ci recherche une arme de petit calibre à répétition manuelle de précision, elle devra faire un appel d’offres. Alors, réindustrialiser est une chose, mais mettre en concurrence des acteurs étrangers sur notre sol, en est une autre. Imaginez-vous le pays d’Accuracy International (Royaume-Uni) acheter un fusil français ? Il n’y a que les Français qui soient capables d’acheter étranger.
Comment imaginez-vous le fusil haute précision qui accompagnera le soldat du futur en 2050 ?
Je ne sais pas si nous aurons fait mieux que propulser un projectile suite à une explosion. Je pense que percuter une amorce qui met le feu aux poudres et qui propulse un projectile gyrostabilisé par les rayures d’un canon, sera toujours d’actualité en 2050. La Guerre des étoiles avec des fusils laser est encore loin !
En revanche, nous aurons probablement des innovations du côté de l’aide au fantassin, notamment en télémétrie et en visée. Il y aura peut-être aussi des drones qui seront capables d’aider à la géolocalisation de l’ennemi. À mon échelle, depuis que je suis dans le milieu, je n’ai vu que l’optronique, l’ergonomie et les calibres des fusils évoluer.
Quelle importance accordez-vous au retour d'expérience ?
C’est primordial. Les retours – photos, vidéos, messages – que nous pouvons avoir de la part des unités françaises et étrangères, nous permettent de penser à l’avenir. Mais ce n’est pas systématique. Parfois nous en souffrons. Nous expédions des fusils à l’autre bout du monde et c’est le black-out le plus total. Certaines unités sont dans le culte du secret. Nous ne savons pas s’ils sont satisfaits, s’ils utilisent l’arme et comment ils l’utilisent. Nous avons plus de soixante pays à l’export et parmi ceux-ci, il y en a beaucoup qui ne nous ont jamais adressé le moindre e-mail. C’est peut-être aussi le problème lorsque nous passons par des agents pour vendre. Nous perdons le contact direct avec le client.
Avez-vous un livre de chevet géopolitique ou historique à conseiller à nos lecteurs ?
Je n’ai pas de livre à leur conseiller. Cependant, j’incite vos lecteurs à suivre les comptes LinkedIn et Twitter d'OpexNews, en plus de sa newsletter. Pour les acteurs de l’armement, cela permet d’avoir une excellente vision d’ensemble de la BITD et de son actualité. Bravo pour votre travail !