"Remettre un fil dans le monde du sans-fil", tel est l'objectif de la PME Elistair qui conçoit des drones filaires dédiés à la surveillance et à la protection des sites sensibles. Un pari réussi pour l'entreprise lyonnaise qui vient de livrer son 1000e produit et qui entend continuer son développement à l'international.
Comment est née l’aventure Elistair ?
J’ai rencontré Timothée Penet à l’École Centrale de Lyon. Lui et moi avions envie de nous lancer dans un projet entrepreneurial axé sur la tech. En 2012, le secteur du drone commençait à émerger avec la création de quelques entreprises spécialisées et la mise en place du premier cadre légal par la Direction générale de l'Aviation civile (DGAC). Mon appétence pour la photographie m’a conduit chez StudioFly Technologie à Lyon pour mon stage de fin d’études. Là, je me suis familiarisé avec la technologie, le secteur, les attentes du marché, etc. Les missions qui nous étaient confiées au sein de cette entreprise posaient déjà plusieurs sujets : perte de communication et d’autonomie du drone, sécurisation des données, etc. C’est à ce moment-là que l’idée a germé. Pour Elistair, nous avons appliqué le principe du câble ombilical – utilisé dans le milieu sous-marin – aux drones aériens.
Combien de temps vous a-t-il fallu pour lancer le premier prototype ?
Au début, nous avions imaginé un drone filaire dans une boîte, complétement autonome, déployable à distance et capable de voler 24/7. Sur le papier, ce projet demandait beaucoup d’investissements. Nous avons donc pris la décision de découper notre produit brique par brique et de commercialiser quelque chose rapidement, pour faire vivre l’entreprise. Nous nous sommes tout d’abord concentrés sur la partie alimentation, en créant une station filaire pour drones. Un an après, le premier contrat était signé avec l’industriel Thales.
Quels sont les avantages du drone filaire en comparaison avec le drone traditionnel ?
Je vois trois avantages à l’utilisation d’un drone filaire. Le premier, c’est l’autonomie et le temps de vol. Nous sommes capables de déployer un drone Orion pendant près de cinquante heures, contre une autonomie de 30-45 minutes pour un vol traditionnel. Le deuxième avantage, c’est la sécurisation des données : il n’est pas possible de pirater, ni de brouiller le drone filaire ! Enfin, le dernier avantage est d’ordre sécuritaire. Le drone filaire ne représente aucun risque pour les autres utilisateurs de l’espace aérien. C’est une espèce de geofencing (géorepérage) physique de votre drone captif.
Comment vos prospects et clients réagissent-ils à cette technologie filaire ?
Il y a un petit aspect contre-intuitif au fait de remettre un fil dans le monde du sans-fil. Il y a huit ans, les prospects nous prenaient un peu pour des fous ! La phase de maturation a été longue mais, heureusement, les mentalités ont évolué. Les forces de police et les armées, nos premiers clients, sont déjà bien avancées sur le sujet. Ce n’est pas encore le cas de tous les secteurs !
Combien de systèmes avez-vous vendu jusqu’à aujourd’hui ? Où vos technologies sont-elles déployées ? Quels sont les marchés les plus porteurs ?
Nous avons livré notre 1000e produit au global – station filaire et drone – en novembre 2022. Nos principaux marchés sont la sécurité publique et civile, pompiers et militaires : ils représentent environ 80% de nos projets. Les 20% restants sont très variés. Cela va du média, au broadcast TV pour des événements sportifs en direct (Formule 1, Coupe du Monde de ski, Super Bowl, etc.) ou encore le format documentaire. 80% de notre chiffre d'affaires est dédié à l'export. L’Amérique du Nord et l’Europe (hors France) représentent respectivement 40% de notre chiffre d'affaires. Depuis six mois, l’Europe devient d’ailleurs de plus en plus dynamique.
En février 2023, vous avez une nouvelle fois participé à la sécurisation du Super Bowl. Comment avez-vous réussi à intégrer le marché américain ?
Tous les acteurs du marché du drone se connaissent, et Elistair est positionné sur un segment très particulier, facilement identifiable. Dès qu’un prospect souhaite s’équiper avec une solution filaire, il n’a pas 36 options ! Nous avons construit une marque forte et une expertise reconnue à l’international. Lorsqu’on évoque le drone filaire à des équipes de police, notamment aux États-Unis, les gens pensent très vite à Elistair. Ce positionnement est en grande partie le fruit du développement de notre réseau de distribution. Nous sommes entourés d’excellents partenaires.
Dans une récente interview donnée au quotidien Le Progrès, vous indiquiez travailler à flux tendu. Est-ce que l'inflation et la pénurie de matières premières compliquent davantage vos délais de livraison ?
Effectivement, c’est toujours un peu tendu, mais l’inflation et cette pénurie ne mettent pas en danger notre mode de fonctionnement. Dans ce contexte, nous consacrons davantage d’énergie à trouver des solutions et à multiplier nos fournisseurs. Nous achetons nos composants plus chers pour avoir plus de réactivité. Nous faisons des stocks plus longs pour sécuriser six mois voire un an de production sur certains composants. Enfin, nous revoyons la conception de certains produits pour y intégrer des composants accessibles. Tout cela génère un peu plus de travail, de coût et de temps, mais nous nous adaptons petit à petit.
Quels sont vos objectifs à horizon 2025 ?
Notre objectif est de rester numéro un sur le segment du drone filaire. Nous avons une gamme de produits complète, qui fonctionne bien. L’idée est de continuer à en faciliter l’usage. Nous voulons réduire les frictions, améliorer l’autonomie, et automatiser davantage, notamment sur la lecture de l’information. Jusqu’à présent, nous avons beaucoup travaillé sur l’automatisation du vol du drone en lui-même. L’étape d’après, c’est l’aspect data, car nos drones ont accès à des données aériennes en illimité et 24/7. Par ailleurs, nos équipes déménageront à l’été 2024. L’entreprise continue de s’étoffer – une dizaine de postes sont à pourvoir en 2023 - et nous espérons atteindre la barre des 90 collaborateurs à horizon 2025.
Avez-vous un livre, qui vous accompagne dans votre vie d'entrepreneur, à conseiller à nos lecteurs ?
Au début de l’aventure Elistair, le livre Makers, la nouvelle révolution industrielle de Chris Anderson, qui évoque la révolution industrielle 2.0 et le concept de la longue traîne, m’a aidé à casser une espèce de barrière mentale. Celle de se dire que notre marché n’était pas exclusivement français mais global.