Frappe dans le profondeur : la France réaffirme son intérêt pour le lance-roquettes multiple indien Pinaka
En visite en Inde pour la conférence des pays contributeurs de troupes de l’ONU, le général Pierre Schill, chef d’état-major de l’armée de Terre (CEMAT), a livré un message sans ambiguïté : la France veut accélérer sur la frappe terrestre longue portée et la lutte anti-drones, en capitalisant sur des briques déjà éprouvées par l’Indian Army. Au cœur des discussions, l’ombre du Pinaka, lance-roquettes multiple dont une version longue portée a déjà été présentée à l’armée française. « Ce qui nous intéresse, c’est l’emploi réel et la capacité d’adaptation au terrain », résume, en substance, le CEMAT après les retours de l’opération Sindoor.
L’intérêt pour le Pinaka n’est pas né ce mois-ci. Fin 2024, le général Stéphane Richou confirmait que l’armée de Terre « évaluait » ce système. En février 2025, à Aero India, un responsable de la DRDO (Defence Research and Development Organisation) parlait même de « pourparlers actifs » après une démonstration jugée satisfaisante. Rien d’acté depuis, mais assez pour maintenir l’option ouverte dans un contexte français contraint : la loi de programmation militaire (LPM) 2024-30 privilégie une solution souveraine pour remplacer les lance-roquettes unitaires (LRU), via le programme Frappe longue portée terrestre (FLP-T), mené par deux équipes (Safran/MBDA et Thales/ArianeGroup), avec une sélection attendue en 2026 et une cible d’allonge à plus 150 km à l’horizon 2030, puis 500–1000 km.
Le Pinaka dans le viseur de l’armée de Terre
Problème : 2026 arrive vite. Le général Schill l’a redit aux parlementaires : la « division bonne de guerre » de cette échéance composera avec les moyens disponibles – mortiers de 120, CAESAr, LRU prolongés et munitions téléopérées. Or prolonger les LRU n’a rien d’une formalité. Le soutien industriel américain ayant cessé, la maintenance repose sur les ateliers de l’armée de Terre, parfois sans documentation complète et avec des pièces rares. À Tulle, la 13e base de soutien du matériel (13e BSMAT) a ainsi remis en état une boîte HMPT-500E en refabriquant une bague de guidage introuvable : plus de 100 heures de recherches, 120 d’atelier et deux jours d’essais. Savoir-faire remarquable, mais fragile dans la durée.

Face au calendrier, trois voies se dessinent. La première, « sur étagère » : HIMARS (calibre 227 mm, standard OTAN déjà diffusé) ou PULS. La seconde est indienne : Pinaka, attractif en coût et cadence, mais en 122/214 mm – un casse-tête logistique si l’on vise l’interopérabilité 227 mm déjà en Europe. La troisième est nationale et agile : Foudre de Turgis & Gaillard, système complet (châssis, panier, conduite de tir) développé hors partenariat officiel, annoncé compatible à la fois avec des munitions souveraines futures et des roquettes existantes, dont les Guided Pinaka (environ 75 km). Objectif assumé : un tir de démo rapide et une capacité intérimaire dès 2027 pour éviter la rupture, avec aérotransport A400M et emploi en environnement GNSS denied.
Paris doit vite accélérer pour éviter la rupture
En parallèle, Safran pousse une adaptation sol-sol de l’A2SM/HAMMER : partir d’un effecteur précis, massifié et bien connu pour livrer plus vite et moins cher qu’un développement ex nihilo. La Direction générale de l’armement (DGA) a calibré 600 millions d’euros pour la frappe terrestre longue portée, et la LPM prévoit 13 systèmes avant 2030 puis 13 autres d’ici 2035. Reste la question des volumes : 300 roquettes souveraines en 2030, puis 50 à 100 par an. Rapporté aux consommations d’un conflit de haute intensité – l’Ukraine tire près de 500 roquettes longue portée par an -, l’effort paraît court. D’où l’intérêt d’un « mix » : tenir les LRU via une maintenance étatique robuste, ponter avec Foudre et/ou A2SM, déployer FLP-T quand il sera mûr.
C’est ici que le déplacement de Pierre Schill en Inde prend tout son sens. Le CEMAT ne cherche pas seulement un lanceur ; il regarde l’écosystème : chaînes de guidage, précision, coût à l’usage, mais aussi guerre électronique et intelligence artificielle pour réduire le temps entre détection et tir, malgré le brouillage. Avec son homologue, le général Upendra Dwivedi, il a acté la volonté d’institutionnaliser un exercice terrestre annuel dans la série Shakti, avec des volets UAV, anti-drones et guerre électronique – afin de connecter plus efficacement les capteurs, le C2 et les armes.
Reste l’arbitrage, que Pierre Schill place sur des rails pragmatiques : vitesse sans renoncer à la souveraineté, interopérabilité sans explosion des coûts, innovation sans tunnel calendaire. À court terme, des démonstrations et essais ciblés doivent trancher l’aptitude opérationnelle et l’intégration dans la logistique française. À moyen terme, FLP-T fixera le cap de la profondeur opérative.
Photo © ANI