Dans le cadre du remplacement des lance-roquettes unitaires (LRU) vieillissants de l’armée de Terre, une initiative inattendue pourrait accélérer la montée en puissance française. L’entreprise Turgis & Gaillard développe Foudre, une solution souveraine développée en dehors du partenariat d’innovation officiel, selon les révélations du rapport parlementaire sur l’artillerie publié aujourd’hui par les députés Jean-Louis Thiériot et Matthieu Bloch.

Le programme Frappe longue portée terrestre (FLP-T), lancé en juillet 2023, doit permettre à la France de disposer à l’horizon 2030 de capacités de frappe au-delà de 150 km pour la profondeur divisionnaire, et, à terme, jusqu’à 500 voire 1 000 km pour la profondeur opérative. Deux consortiums industriels, Safran/MBDA et Thales/ArianeGroup, sont aujourd’hui engagés dans un partenariat d’innovation sous l’égide de la Direction générale de l’Armement (DGA), avec une sélection prévue en 2026.

Mais le rapport parlementaire révèle l’existence d’une troisième voie : Foudre, une solution complète – châssis, panier de roquettes, conduite de tir – développée par Turgis & Gaillard. L’entreprise assure que son système serait compatible à la fois avec les futures munitions souveraines en développement et avec des roquettes existantes, comme les Guided Pinaka indiennes (75 km de portée).
Un calendrier plus rapide pour éviter une rupture capacitaire
À l’inverse des grands programmes officiels, Turgis & Gaillard parie sur la vitesse d’exécution. Un premier tir de démonstration avec des munitions déjà disponibles pourrait avoir lieu prochainement, selon l’entreprise. L’objectif : offrir une solution temporaire dès 2027 pour éviter la rupture capacitaire redoutée par les parlementaires, à l’heure où les châssis des LRU actuellement en service atteindront leur obsolescence.
Or, la cible fixée par la DGA – 300 roquettes souveraines livrées en 2030, puis 50 à 100 roquettes produites chaque année – apparaît déjà sous-dimensionnée à l’aune des besoins d’un conflit de haute intensité. À titre de comparaison, l’Ukraine consommerait aujourd’hui près de 500 roquettes longues-portées par an sur son front.
Trois solutions françaises pour restaurer la capacité de frappe en profondeur
Le rapport signé des députés souligne l’importance stratégique de disposer d’une solution nationale, capable d’opérer en environnement électromagnétiquement contesté (« GNSS denied »), aérotransportable en A400M, et interopérable avec des munitions diverses, françaises comme étrangères.
En proposant un système immédiatement adaptable et compatible avec des munitions existantes, Turgis & Gaillard entend se positionner non en concurrent direct, mais en complément agile aux grands industriels. Dans un contexte de réarmement mondial accéléré, où la rapidité d’exécution, la capacité d’innovation et la résilience industrielle deviennent des critères aussi stratégiques que la performance technique, cette approche pourrait bien séduire les autorités.
Un dynamisme industriel confirmé par le programme Aarok
Cette vitalité industrielle n’est pas un coup d’éclat isolé. Lors du Salon du Bourget 2023, Turgis & Gaillard avait déjà marqué les esprits en dévoilant l’Aarok, premier drone MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) intégralement développé en France. Imposant par sa taille (22 mètres d’envergure) et conçu pour des missions variées – ISR, appui-feu, relais de communications, voire suppression des défenses aériennes ennemies –, l’Aarok illustre la capacité du groupe à mener à bien des projets complexes en mobilisant ses ressources internes et un tissu industriel français dense. Développé en un temps record de trois ans, et pensé pour être robuste, rustique et modulaire, l’Aarok traduit le même esprit que Foudre : une volonté d’apporter rapidement des capacités souveraines à coût maîtrisé. Deux projets, deux réponses à une même exigence stratégique formulée par le ministère des Armées : produire plus vite, produire français, et regagner de l’autonomie industrielle.