Le message est clair : le temps long ne suffit plus. Anduril promet des équipements utilisables rapidement si la crise taïwanaise s’envenime. Sa doctrine « China 27 » fixe la ligne de mire : concevoir, produire et déployer avant 2027. En Europe, l’accord annoncé avec Rheinmetall confirme l’ambition de s’implanter localement et de tenir des coûts serrés. Le tout sur fond de tensions croissantes dans l’Indo-Pacifique.
Devenir « l’armurerie du monde »
Palmer Luckey assume ce cap. Dans le podcast de Joe Rogan, le fondateur d’Anduril juge un blocus de Taïwan plus probable qu’un débarquement. La dissuasion devrait donc miser sur des moyens concrets : mines navales, missiles et contre-missiles. Il dit s’être rendu récemment à Taipei pour livrer des systèmes destinés à contrer une offensive chinoise. Sa ligne politique est assumée : éviter l’engagement direct américain et devenir « l’armurerie du monde » avec des stocks, des prix tenus et une fiabilité vis-à-vis des alliés.
Créée en 2017, Anduril affiche environ 1 milliard de dollars de revenus 2024 et une valorisation portée à 30,5 milliards après une levée de 2,5 milliards. Les contrats suivent : dix ans et 642 millions de dollars avec le Marine Corps pour des défenses anti-drones de petite taille. Partenariat avec Meta pour « EagleEye », une famille de dispositifs qui superposent des données tactiques dans le champ de vision du soldat et permettent de contrôler des drones ou d’afficher des ordres de mission.
Profitant du Bourget, Anduril et Rheinmetall ont annoncé vouloir développer et produire en Europe deux systèmes phares – le missile de croisière Barracuda et l’avion de combat autonome Fury – tout en les adaptant à la plateforme numérique de l’Allemand. Les partenaires évoquent aussi une capacité continentale en moteurs à propergol solide. Grâce à l’usine du Mississippi issue d’Adranos, la production pourrait doubler à plus de 6 000 moteurs par an, soutenue par un investissement de 75 millions de dollars. En parallèle, une montée en cadence est engagée dans l’Ohio pour drones, capteurs et systèmes navals.
Anduril, l’outsider qui s’installe au centre du jeu
Cette offensive bouscule la hiérarchie. Hier, un programme comme Fury n’aurait pas échappé aux « big five » américains. En Europe, l’entrée d’Anduril aux côtés de Rheinmetall met sous pression Airbus, Dassault Aviation et MBDA, engagés sur leurs propres drones de combat et familles de missiles. L’argument d’Anduril tient en trois mots : rapidité, modularité, co-développement. Concrètement : architectures ouvertes, itérations logicielles fréquentes et industrialisation pensée pour le volume. L’entreprise affirme pouvoir produire certains missiles 30 % moins cher que les références actuelles. Les concurrents ripostent en dénonçant un « effet bulle ». D’autres vont plus loin et agitent le spectre d’une « Theranos de la défense ». Les investisseurs, eux, parient sur une baisse durable des coûts et des délais sans sacrifier la robustesse.
Le contexte géopolitique nourrit cette accélération. Taïwan a, pour la première fois, inscrit 2027 comme horizon d’alerte dans ses exercices Han Kuang. Pékin vise une armée « moderne » à la même date et multiplie pressions militaires et actions hybrides autour du détroit. À Washington, la « fenêtre Davidson » a déplacé des budgets vers l’Indo-Pacifique et consolidé l’aide à Taipei, tout en rappelant que « prêt » ne signifie pas « attaquer ». La probabilité d’un conflit reste incertaine, mais l’exigence de réactivité s’impose.
Au fond, « China 27 » agit comme une boussole. Elle force Anduril – et ses partenaires – à livrer utile, vite, et à prix tenus. L’horizon 2027 restera peut-être un mirage, mais la demande, elle, est bien réelle : des stocks, des capteurs, des missiles, des outils qui fonctionnent dès demain. C’est là que se jouera la différence, en Europe comme aux États-Unis : dans la capacité à tenir le rythme, à monter en cadence et à ne pas décevoir les forces. Si la crise s’apaise, on aura gagné en réactivité. Si elle s’enflamme, on ne découvrira pas le tempo en cours de route.
Photo © Alexander Bogatyrev