Dans l’espace, « la Chine est notre plus grande menace » : l’avertissement du commandant de l’US Space Force
La Chine reste la menace n° 1 pour les capacités spatiales américaines. Ce n’est plus seulement une course au tonnage lancé : Pékin accélère son outillage militaire et tactique en orbite à un rythme qui inquiète Washington. « Ils déploient de nouvelles capacités – je ne dirais pas chaque jour, mais au moins chaque mois – qui mettent nos moyens en danger », a prévenu le lieutenant-général Douglas Schiess, commandant de l’US Space Force, lors de la conférence Air, Space & Cyber Conference qui s’est déroulée le 24 septembre 2025. Et de trancher : « La Chine est assurément notre plus grande menace. »
L’espace comme multiplicateur de portée et de puissance
Derrière cette alerte, une réalité opérationnelle se dessine. Selon Schiess, les forces chinoises construisent une « kill chain » – un processus d’attaque intégré – pour cibler des forces américaines « à des distances plus grandes que tout ce que nous avons jamais vu ». L’espace en est le multiplicateur : « Ils utilisent l’espace pour rendre ces distances encore plus grandes. » Concrètement, la combinaison de constellations ISR1 (imagerie optique et radar, capteurs radiofréquence et multispectraux) et de liaisons de données militarisées densifie la chaîne capteurs-effets autour des groupes aéronavals, des forces expéditionnaires et des bases avancées.
La montée en gamme ne s’arrête pas à la connaissance de situation. « En plus de cela, ils ajoutent des capacités de contre-espace2 qui mettent alors nos moyens en danger », insiste Schiess. L’arsenal attendu couvre le brouillage (jamming) et le leurrage (spoofing) des signaux, l’éblouissement laser, les intrusions sur segments sol et, surtout, des manœuvres de proximité en orbite – de l’inspection intrusive à l’entrave, voire à la neutralisation ciblée. Ces tactiques promettent des effets potentiellement réversibles, calibrés pour rester en-deçà d’un tir antisatellite (ASAT) destructif… mais suffisants pour désorganiser une opération.

L’outil spatial chinois : masse et agilité
La Chine a fait de l’espace un pilier militaire en mêlant masse et agilité. Côté observation, elle aligne des Yaogan (imagerie/écoute), Gaofen (optique/SAR) et Ludi Tance-1 (L-SAR 01) pour repérer porte-avions et bases. Pour la navigation et la synchronisation, BeiDou soutient les opérations. Pékin teste aussi des manœuvres de proximité (RPO) avec les Shiyan et Shijian (comme SJ-17 en orbite géostationnaire, SJ-21 capable de remorquer/déplacer un satellite), ainsi que des charges TJS dédiées au renseignement. Les moyens de contre-espace couvrent le brouillage et leurrage des liaisons (GNSS/SATCOM), l’éblouissement laser contre les capteurs, et des actions cyber sur le segment sol.
À l’extrémité « dure », des missiles antisatellites comme SC-19/DN-3 (et l’intercepteur HQ-19) visent l’orbite basse (LEO) ; un spaceplane réutilisable (type Reusable Test Spacecraft) explore les opérations prolongées. L’ensemble alimente une kill chain où l’orbite sert de multiplicateur de portée et de précision.
Multiplier les satellites, réduire les risques
Face à cette dynamique, la réponse américaine s’organise autour de trois axes. D’abord, la résilience des architectures : multiplication de satellites plus petits et distribués, manœuvrabilité accrue, durcissement contre le brouillage et l’éblouissement, segmentation des fonctions pour éviter les points de défaillance uniques. Ensuite, l’accélération capacitaire : Schiess appelle à « continuer de mettre en orbite davantage de satellites, y compris ISR », afin de protéger les forces et conserver l’initiative. Enfin, l’affirmation doctrinale : le « space control » s’installe au cœur des fonctions, avec la capacité d’effets cinétiques et non cinétiques pour perturber, dégrader ou détruire des systèmes hostiles si nécessaire, dans un cadre d’escalade maîtrisée.
Reste à convertir l’alerte en planification lisible pour l’industrie et soutenable budgétairement. La trajectoire est toutefois claire : l’orbite devient un théâtre contesté où la masse, l’agilité et l’intégration des effets feront la différence. Et le tempo s’accélère. « Ils déploient des capacités… au moins chaque mois », répète Schiess.
Le message adressé aux alliés est implicite mais net : renforcer la connaissance de la situation spatiale (space domain awareness) en temps réel, durcir les chaînes critiques (communications, PNT3, observation) et entraîner les équipes à opérer en environnement dégradé. L’espace n’est plus un arrière-plan technologique ; c’est un champ d’affrontement où la supériorité se gagne – ou se perd – à l’échelle de quelques mois.
- Intelligence. Surveillance. Reconnaissance ↩︎
- Les capacités de contre-espace désignent des capacités, des techniques ou des moyens pouvant être employés contre un autre objet spatial ou un composant d’un système spatial afin de le priver de service, de le perturber, de le dégrader, de l’endommager ou de le détruire – de manière réversible ou irréversible – afin de prendre l’avantage sur un adversaire. ↩︎
- Positioning, Navigation, and Timing (PNT) sont un ensemble de capacités constitutives nécessaires pour assurer le fonctionnement des infrastructures nationales critiques. ↩︎
Photo © AP – Andy Wong