Le 1er août, jour de la Fête nationale, la Suisse a appris que Washington imposait un droit de douane de 39 % sur ses exportations, de la montre de luxe aux capsules de café Nespresso. Cette annonce tombe comme un coup de tonnerre politique et vient bouleverser un contrat déjà jugé onéreux : l’achat de 36 chasseurs-bombardiers F-35A auprès de Lockheed Martin, dont la facture pourrait atteindre 7,8 milliards d’euros.
« Malentendu » sur le prix du programme
Le projet de renouvellement de la composante aérienne suisse, lancé en 2020 avec un budget initial d’environ 5,3 milliards d’euros, a vu son coût s’envoler après un « malentendu » reconnu par le Département fédéral de la défense (DDPS) concernant le prix des appareils. Les estimations parlent aujourd’hui d’un surcoût compris entre 557 millions et 1,1 milliard d’euros, faisant passer la note à près de 7,8 milliards de d’euros, soit 7,3 milliards de francs suisses.
Jusqu’ici portée par la gauche et les partis dits pacifistes, la contestation s’étend désormais aux rangs du centre-droit. Le conseiller national Balthasar Glättli (Verts) résume le sentiment général : « Un pays qui nous tape dessus avec ses droits de douane ne mérite pas notre largesse. » Hans-Peter Portmann (PLR), proche de la présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter, préconise quant à lui de « geler partiellement ou totalement le contrat et d’avaler les pertes » avant d’explorer des partenariats européens pour combler d’éventuels manques en matière de défense. Cédric Wermuth (PS) va plus loin encore en demandant « un nouveau plébiscite, pour que la population puisse stopper l’achat », illustrant la montée en puissance de l’initiative « Stop F-35 », rassemblant socialistes, Verts et Groupe pour une Suisse sans armée.
Face à ces appels à la suspension, l’Union démocratique du centre (UDC) défend le maintien du contrat. Werner Salzmann, responsable de la politique de sécurité, estime qu’un retrait « n’impressionnerait pas Trump » et pourrait même accroître le déficit commercial avec les États-Unis. Selon lui, aucun avion européen (!) ne rivalise aujourd’hui avec le F-35 de cinquième génération, et renoncer à ce modèle ferait courir un risque à la supériorité technologique de la Suisse.
Une marge de manœuvre suisse limitée
Berne est désormais à un carrefour stratégique et politique : maintenir le calendrier initial malgré un surcoût de près de 2,5 milliards d’euros, geler la commande en assumant les pénalités, ou redistribuer une partie des tranches vers des programmes européens (Rafale, Eurofighter Typhoon). À peine rentrés de leur mission de la « dernière chance » à Washington – où Karin Keller-Sutter et Guy Parmelin n’ont rencontré que Marco Rubio et non Donald Trump – les membres du Conseil fédéral vont se réunir en séance extraordinaire cet après-midi pour faire le point, sans qu’aucune concession américaine n’ait été obtenue.
La ministre de la Justice a évoqué un « échange très amical et ouvert sur les enjeux communs », mais les industriels suisses mettent en garde : si la surtaxe de 39 % est maintenue, toute exportation tech vers les États-Unis sera « de facto à l’agonie » et des dizaines de milliers d’emplois menacés.
Au-delà des montants, cette crise tarifaire souligne une interrogation majeure : comment concilier la modernisation de l’armée, l’indispensable souveraineté nationale et la diversification des partenariats, alors que la Suisse, particulièrement ciblée avec l’un des taux de droit de douane les plus élevés (39 % contre 15 % pour l’UE et 10 % pour le Royaume-Uni), cherche à préserver son excédent commercial et à stabiliser ses relations transatlantiques tout en renforçant ses liens avec l’Union européenne ? Dans un contexte où les guerres commerciales peuvent rebattre les cartes du jour au lendemain, même les projets de défense les mieux ficelés restent vulnérables aux secousses extérieures.