Face aux retards du SCAF, la DGA propose une nouvelle répartition industrielle
Le programme de Système de Combat Aérien du Futur (SCAF) traverse une phase de tension stratégique. Si les avancées techniques sont réelles, les blocages politiques et industriels persistent. Pour sortir de l’impasse, la France a proposé à ses partenaires allemands et espagnols de revoir en profondeur l’organisation du travail. Objectif : garantir l’entrée en service du futur chasseur européen à l’horizon 2040.
Face aux retards, la DGA plaide pour une réorganisation des responsabilités
La Direction générale de l’armement (DGA) l’a confirmé à DefenseNews. « La France, en tant que nation leader du programme, propose à ses partenaires de tirer les leçons des premières années de coopération », indique-t-elle. Celle-ci souhaite « repenser la coopération autour d’un renforcement du leadership industriel » afin de préserver l’échéance fixée.
Car le calendrier commence à sérieusement déraper. La phase 2 du programme, qui doit lancer la fabrication d’un démonstrateur du New Generation Fighter (NGF), n’est toujours pas validée. La DGA espère un démarrage début 2026. Mais à ce rythme, le scénario d’un avion opérationnel en 2045 gagne du terrain. Dassault Aviation, maître d’œuvre désigné du NGF, tire la sonnette d’alarme depuis plusieurs mois.
Le cœur du problème est bien connu. Le partage industriel du programme repose aujourd’hui sur une logique d’équilibre entre États, et non sur les compétences réelles. Résultat : une gouvernance à trois têtes entre Dassault, Airbus Allemagne et Airbus Espagne, qui freine les arbitrages, multiplie les compromis et étire les délais.
La pression monte également dans les cercles politiques. Le chancelier Friedrich Merz a reconnu cette semaine des « désaccords » avec Paris sur la composition du consortium, tout en réaffirmant son attachement au programme. Une réunion entre les ministres de la Défense français et allemand est prévue le 24 juillet, suivie d’un échange entre Merz et Emmanuel Macron. Chez Airbus, la défiance est palpable. Lors d’un déplacement à l’usine de Manching, le président du comité d’entreprise Thomas Pretzl a dénoncé un partenariat déséquilibré et a évoqué « d’autres partenaires plus fiables en Europe ».
Dassault réclame un leadership clair pour piloter le NGF
Pour sortir de ce schéma inefficace, Dassault propose de reprendre la main. L’industriel français réclame désormais 80 % des tâches industrielles liées au NGF, contre un tiers aujourd’hui. Son PDG, Éric Trappier, a de nouveau défendu une approche pragmatique lors de sa dernière audition sénatoriale : « Ce programme est très ambitieux, et c’est normal. Nous travaillons pour nos forces armées dans le futur. Mais une telle ambition demande un leadership clair, ce que nous appelons un architecte. »
Dassault rappelle son expertise unique dans la conception et la production de chasseurs de combat. Le Rafale en est la démonstration : avion multirôle, 100 % souverain, conçu, produit et exporté par un industriel européen. Selon Trappier, confier la majorité des tâches à Dassault permettrait d’assurer la cohérence technique du programme, de réduire les délais, et de maximiser les retombées industrielles pour la filière française.
La DGA ne cache pas son soutien à cette logique. Elle affirme que « la part de travail de chaque industriel n’est pas figée » et que « les discussions en cours doivent permettre une nouvelle répartition ». Elle précise cependant que « les objectifs du programme et son équilibre global ne sont pas remis en question ».
Pour Dassault, l’exemple du drone furtif nEUROn montre la voie. Ce projet européen, piloté par la France, a permis de livrer un démonstrateur dans les temps et sans explosion des coûts. La clé du succès ? Une répartition des tâches fondée sur les compétences, et non sur des quotas nationaux. « Cette coopération s’est avérée être une réussite sur ce démonstrateur. Elle n’est malheureusement pas en place sur le NGF et j’en suis désolé », insistait encore récemment le patron de Dassault Aviation.
Face aux blocages, l’option d’un SCAF national gagne en crédibilité
Du côté d’Airbus, la communication reste prudente. Officiellement, l’objectif 2040 reste d’actualité. Mais Michael Schoellhorn, patron de la branche défense, a récemment déclaré que « le programme n’aura aucune chance de réussir sans décision politique forte d’ici la fin de l’année ». Le message est clair : tout le monde s’inquiète, mais personne ne tranche.
En coulisses, l’option d’un plan B commence à circuler. Si les partenaires ne parviennent pas à se mettre d’accord, Dassault pourrait développer seul un nouvel avion de combat, avec Thales et Safran. « La France reste fermement engagée dans le programme », assure de son côté la DGA. Mais l’implication française n’est pas inconditionnelle.
Le SCAF incarne un enjeu de souveraineté majeur pour l’Europe. Il doit garantir la supériorité aérienne dans un environnement contesté, mais aussi porter la composante nucléaire française à partir de 2040. Si la coopération européenne échoue, le projet pourrait bien changer de forme ou d’ambition.