Depuis plus de deux siècles, Verney-Carron incarne l’excellence armurière française. Dernière grande manufacture d’armes de chasse et de défense en France, cette entreprise stéphanoise a traversé les époques en innovant et en portant haut un savoir-faire unique. Pourtant, aujourd’hui, elle est au bord du gouffre, et son avenir pourrait s’écrire sous pavillon belge.
Cette situation n’est pas qu’un simple accident de parcours. Elle est le résultat d’un choix politique et industriel vieux de plus de 30 ans, celui de laisser s’éteindre en France une capacité souveraine de production d’armes de petit calibre. Lors du remplacement du FAMAS, Verney-Carron avait proposé un dérivé du M4, en partie produit en Israël. La direction générale de l’Armement a préféré choisir une arme fabriquée par une entreprise maîtrisant parfaitement ses process industriels et capable de répondre aux exigences d’un cahier des charges rigoureux. Ce choix a surtout mis en lumière une réalité brutale : aucune entreprise française ne possède aujourd’hui l’expertise et les capacités industrielles pour rivaliser avec les leaders mondiaux.
Verney-Carron a tenté de se repositionner sur le marché de la défense, mais avec un produit d’origine étrangère. Aujourd’hui, les armes dites « Lebel » qu’elle commercialise possèdent un canon allemand, une crosse chinoise, et seul le boîtier est récemment fabriqué par Verney-Carron/Cybergun Group Ce manque d’intégration industrielle limite ses perspectives dans un marché où la maîtrise complète de la production – canons, boîtiers, crosses, pièces détachées – est essentielle.
La tentative de se positionner sur le marché militaire a été trop tardive, mal préparée et sans la puissance industrielle requise. L’annonce d’un contrat avec l’Ukraine a pu rassurer les investisseurs un temps, mais la DGA a très vivement contredit cette information, soulignant qu’il n’y avait jamais eu de marché de défense pour Verney-Carron, si ce n’est sur des équipements non létaux pour les forces de l’ordre.
Verney-Carron : un symptôme de la désindustrialisation française dans l’armement
Au-delà du militaire, le marché des armes de chasse est en crise et nécessite une R&D innovante pour maintenir sa compétitivité. Verney-Carron a longtemps cherché à se diversifier : il y a 25 ans, l’entreprise fabriquait des pièces pour Renault Sport. La fin de ce partenariat a marqué le début de ses difficultés. Les choix stratégiques qui ont suivi n’ont pas permis un rebond.
Ce naufrage est avant tout un échec français. Un pays comme la France, avec ses ambitions en matière de souveraineté et de défense, ne peut plus produire en autonomie ses propres armes légères. Un marché a été délibérément sacrifié, et les conséquences sont là : l’armurerie française ne tient plus que par des acteurs étrangers.
Pour autant, la France et la Belgique entretiennent depuis plusieurs années une relation industrielle de défense dynamique et fructueuse. Le programme CaMo (Capacité Motorisée), qui vise à intégrer les forces terrestres des deux pays autour de véhicules blindés communs, témoigne d’une coopération militaire approfondie. De même, le rachat récent d’Arquus par le groupe belge John Cockerill montre que ces rapprochements industriels peuvent être structurants et bénéfiques pour les deux nations.
Aujourd’hui, le probable rachat de Verney-Carron par FN Browning Group s’inscrit dans cette dynamique. Cette reprise permettra certes à l’entreprise de survivre, mais au prix d’une perte d’indépendance nationale dans un domaine où la France aurait dû maintenir une capacité autonome. Une fois de plus, un pan de l’industrie française passe sous pavillon étranger, faute d’avoir su – ou voulu – investir dans une filière nationale viable.
Le constat est amer : la souveraineté industrielle ne se décrète pas, elle se construit. Et la France, en laissant mourir sa filière armurière, a fait un choix dont elle paiera sans doute longtemps les conséquences.