C’est un jalon attendu depuis des années : le démonstrateur X-59 QueSST (Quiet Supersonic Transport), développé par Lockheed Martin Skunk Works, a réalisé son premier vol au-dessus de Palmdale (Californie) avant de se poser à l’Armstrong Flight Research Center d’Edwards. Vol court, profil prudent, mais message clair : le programme Low-Boom Flight Demonstrator quitte le plancher des essais au sol pour entrer dans sa phase aérienne. Objectif affiché : prouver qu’un avion peut franchir Mach 1 en générant un « doux coup sourd » plutôt qu’un bang sonique, et fournir les données qui pourraient, demain, desserrer les interdictions de vol supersonique au-dessus des zones habitées.
Pour ce premier saut, l’équipe a vérifié les qualités de vol initiales et les mesures air-données. La suite va consister à ouvrir progressivement l’enveloppe, jusqu’aux premières pointes supersoniques destinées à caractériser la signature acoustique. Si les résultats sont au rendez-vous, la NASA mènera ensuite des survols de communautés afin de mesurer la perception réelle au sol et de bâtir un corpus de données partageables avec la FAA1 (Federal Aviation Administration) et les régulateurs internationaux.
Un laboratoire volant taillé pour le silence
Le X-59 n’est pas un prototype de ligne commerciale mais un laboratoire volant, entièrement taillé autour du bruit. Son fuselage effilé, dominé par un nez très long – son allure longiligne n’a rien à envier à l’espadon (SX1) de Blake & Mortimer – qui représente près d’un tiers de la longueur totale (environ 30 m), vise à « étaler » les ondes de choc pour éviter la classique onde en N. Le moteur (un F414 dérivé d’avions de combat) est positionné au-dessus de l’arrière du fuselage pour lisser l’intrados2. Particularité marquante : le cockpit n’a pas de pare-brise avant. Le pilote s’appuie sur un système de vision externe (caméras haute définition et affichage 4K) qui restitue la vue frontale avec des superpositions de données.

Image © Editions Dargaud
Dans le viseur, une signature acoustique ramenée à un « coup sourd » d’environ 75 dB perçus au sol – l’ordre de grandeur d’une portière qui claque – là où un supersonique classique produit un bang bien plus perturbateur. Les essais diront si l’aérodynamique et l’intégration système tiennent cette promesse hors de la soufflerie.
Le X-59 ne remettra pas des passagers en supersonique demain matin. En revanche, il peut déplacer la ligne rouge réglementaire qui, depuis les années 1970, interdit la croisière supersonique au-dessus des continents. Si la « preuve par le bruit » convainc, le débat ne portera plus seulement sur l’acceptabilité acoustique, mais sur l’équation économique, énergétique et industrielle d’un transport plus rapide. Pour l’écosystème aéronautique, c’est un pari à deux étages : d’abord une norme sonore réaliste, ensuite des programmes commerciaux crédibles. En réussissant son entrée en piste, le X-59 offre au secteur une perspective : transformer un rêve récurrent en trajectoire concrète – et, peut-être, rouvrir la porte à une génération d’appareils supersoniques compatibles avec les exigences d’aujourd’hui.
- Agence gouvernementale chargée des réglementations et des contrôles concernant l’aviation civile aux États-Unis ↩︎
- Surface inférieure d’une aile d’avion ↩︎
Photo © Lockheed Martin