« Notre technologie est capable de détecter une fake news en quelques secondes. »​ Interview de Julien Mardas (Buster.Ai)

11 septembre 2001, fact-checking, levée de fonds, Julien Mardas revient sur les origines et les ambitions de Buster.Ai, start-up qui a développé une solution logicielle de lutte contre la désinformation basée sur des méthodes de deep learning.


Comment est née l'idée de développer un outil permettant d'automatiser le fact-checking ?

Tout a commencé le 11 septembre 2001. Ce jour-là, j'ai compris que nous entrions dans une ère nouvelle, que nous tirions une croix sur notre passé. Cet événement a pavé la chute de beaucoup de choses : altération des libertés individuelles et collectives, transformation de nos économies, instabilités géopolitiques… Depuis ce jour, nous ne savons pas si nous sommes dans une situation de décroissance ou de décadence. Et même pour aller plus loin, d'extinction de masse.

Même s'il y avait des éléments précurseurs avant le 11 septembre, je savais qu'un jour je ferai quelque chose relatif à la désinformation. J'ai vu les choses se produire, des exemples très frappants qui m'ont convaincu qu'un individu qui peut contrôler l'information et passer son message à un nombre significatif de personnes pourrait générer des dangers considérables. J'ai identifié très tôt que si nous n'avions pas les outils pour combattre cela, il se passerait un instant dans nos vies où nous ne pourrions plus faire confiance à personne. Ces choses dont nous parlons sont d'un impact capital pour notre souveraineté et la stabilité de toute l'Europe.

Buster.Ai est né de ce constat. Je voulais permettre à tout un chacun d'avoir accès à une information "neutralisée", explicable et prouvée. J'étais convaincu que nous pouvions utiliser des modèles d'intelligence artificielle pour arriver à démêler le vrai du faux et pour faire ressortir la substance non biaisée, non chargée de polarité et d'émotion.

Aujourd'hui, l'intérêt des médias ce n'est pas de faire du fact-checking, car capitalistiquement ils sont détenus par des liens qui les obligent à procéder d'une certaine manière. Les médias font beaucoup plus d'argent avec la publicité et les injections de capitaux plutôt qu'avec le paiement d'abonnements. 

En quoi l'outil de Buster.Ai est-il une technologie de rupture ?

Nous avons appris à lire à une machine et nos modèles d'intelligence artificielle ont très vite établi une distinction entre une agence de presse, une agence de fact-check, une source académique, scientifique, encyclopédique ou statistique. Notre technologie peut lire environ un million d'articles par jour, en 50 langues et en provenance de plus de 20 000 sources gratuites issues de 200 pays. Bientôt, elle pourra faire émerger des réseaux sociaux des experts qui ne sont pas connus et proposer leur expertise et des contre-argumentations. 

Nous pensons que la machine doit complémenter l'humain. C'est extrêmement important de ne pas éliminer l'humain dans la chaîne de décision parce que la machine peut se tromper, tout comme l'humain. Si nous cumulons l'erreur de la machine et de l'humain, nous avons une meilleure erreur, mais en revanche l'humain seul, aujourd'hui, va se tromper beaucoup plus. Parce qu'une fausse information va sept fois plus vite qu'une vraie, il est impossible de faire autrement que d'augmenter - sans être transhumaniste - la capacité de l'humain à chercher dans le temps, dans la longueur temporelle de l'information et dans la vitesse de réponse, le volume de documents qui va être adressé par la recherche.

Les dommages réputationnels causés par la désinformation représentent un coût de 9,54 milliards de dollars en 2019. Les dommages liés à la désinformation pour les marchés financiers représentent 78 milliards de dollars dans le monde, dont trente-neuf rien qu'aux États-Unis.

Les grands groupes n'innovent plus en France. Ils font appel à des petites entreprises et à l'open innovation pour apporter du dynamisme, de l'innovation et de la recherche, dans un système qui est en inertie.

Julien Mardas, PDG de Buster.Ai

Comment et en combien de temps la technologie de Buster.Ai est-elle capable de détecter une fake news ?

Notre technologie est capable de détecter une fake news en quelques secondes. Nous sommes en dessous de la seconde pour les sujets géopolitiques et géostratégiques, économiques et financiers, environnementaux et sanitaires. Nous nous focalisons sur ces quatre grandes verticales car nous pensons que c'est là que la désinformation va causer un maximum de dommages. 

Quelles sont les prochaines étapes de votre développement ?

Nous sommes en période de "petite" levée de fonds pour continuer de développer une technologie d'intelligence artificielle qui transforme la société, et change la défense que nous allons apporter à notre écosystème. 

Une autre levée de fonds plus importante, à deux chiffres, arrivera fin 2023. Nous ne voulons pas faire du scaling exponentiel et faire n'importe quoi, nous voulons valoriser l'entreprise à sa juste valeur et faire en sorte qu'au moment de la levée de fonds la valorisation soit réaliste. 

Rencontrez-vous des freins en France pour lever des fonds ?

En France, la complexité administrative et fiscale est omniprésente. Tant que les petites entreprises seront traitées comme les grandes, les entrepreneurs seront pris à la gorge. L'état d'esprit en France de tout contrôler, normaliser, standardiser, est malheureusement encore présent et c'est un frein à l'évolution des entreprises. Nos startups ne sont pas outillées pour combattre des géants à ces niveaux-là.

Nous n'avons pas assez de PDG en France qui ont envie de secouer les choses pour arriver à créer un véritable écosystème. Le problème est qu'ils sont très vite récupérés par les États-Unis, où il est beaucoup plus facile de lever des fonds.

En France, il y a encore des fonds d'investissements qui restent réticents, sont sur la réserve ou ont peur de la récession. Certes, ils n'ont pas les mêmes moyens que leurs homologues américains mais c'est la cause d'une fuite d'opportunités, de capitaux ou de talents à l'étranger.

Il faut savoir que la durée moyenne d'une levée de fonds en France est de neuf à douze mois minimum. Aux États-Unis une levée de fonds ça peut se faire en moins de trois mois, parfois même en un mois. Si j'avais fait la même chose à Y Combinator en Californie, je n'aurais pas levé deux millions d'euros il y a deux ans, j'en aurais levé quatre. Et je n'aurais pas mis neuf mais trois à six mois pour le faire.

Les grands groupes n'innovent plus en France. Ils font appel à des petites entreprises et à l'open innovation pour apporter du dynamisme, de l'innovation et de la recherche, dans un système qui est en inertie. C'est essentiel que l’État entende et comprenne ce message. C'est essentiel que les investissements soient possibles et que les développements d'entreprises, notamment dans leur cycle de vie, soient vraiment simplifiés.

Par OpexNews