« Armée de Terre, vous devez avoir l’esprit pionnier » : le général Pierre Schill fait des drones un moteur de mutation opérationnelle
Des drones imprimés en 3D par les soldats eux-mêmes, des essaims capables de saturer un espace, et des unités réorganisées autour de ces nouveaux outils : l’armée de Terre vit une transformation silencieuse mais radicale.
Sur les théâtres de guerre, du Haut-Karabakh à l’Ukraine, les drones sont devenus omniprésents. Surveillance, frappe, guerre électronique, leur spectre d’action s’élargit sans cesse. Derrière cette révolution technologique, c’est toute une vision du combat qui évolue, forçant les armées à revoir leurs doctrines, leurs structures, et même leur rapport à l’innovation. Loin des effets d’annonce, l’armée de Terre française prépare cette bascule, méthode à l’appui.
Les drones, levier d’une mutation tactique en profondeur
Auditionné ce 9 juillet 2025 devant la commission de la Défense, le général Pierre Schill a été sans ambiguïté : « Les drones, c’est une innovation, une évolution absolument fondamentale du combat tel que nous l’observons sur tous les champs de bataille aujourd’hui. » Une rupture militaire qu’il compare volontiers à la révolution technologique de la Première Guerre mondiale, lorsque l’électricité, l’aviation ou le moteur à combustion ont soudain bouleversé la conduite des opérations. « Il y a le même phénomène à l’Est de l’Europe », souligne-t-il.
Pour le chef d’état-major de l’armée de Terre, il ne s’agit pas simplement de s’équiper en drones, mais de transformer profondément la manière de penser, d’organiser et de conduire l’action militaire. « Le drone, le robot aérien, sera un des marqueurs des combats qui viennent. »
« La robotique terrestre sera elle aussi un marqueur des conflits à venir, même si son développement reste en décalage. » explique le général Schill. « L’espace aérien est plus fluide, tandis que le sol est rugueux, complexe, contraint. Il faudra encore cinq à dix ans pour que les robots terrestres atteignent le même niveau de maturité opérationnelle que les drones aériens. »

La transformation est déjà visible sur le terrain. À commencer par la 11e brigade parachutiste (11e BP), dont la première promotion de télépilotes FPV a récemment terminé son stage au Centre d’Entraînement Tactique Drones (CETD). Pendant quatre semaines, les stagiaires ont assemblé leurs drones low-cost, appris à manœuvrer en milieu confiné, puis effectué des frappes simulées sur objectifs tactiques. Ce programme structuré incarne la volonté de diffuser une culture opérationnelle du drone au plus près des forces.
Le drone comme catalyseur d’un nouveau modèle opérationnel
« Je me sers de cette explosion des drones pour dire : armée de Terre, vous devez avoir l’esprit pionnier », explique le général Schill. « Vous devez l’avoir à la base dans les unités par l’invention, l’emploi à votre niveau des drones, y compris ceux fabriqués par imprimante 3D. » Cette logique d’initiative locale s’inscrit dans une dynamique plus large, portée au niveau central par le Commandement du combat futur, qui pilote la montée en puissance capacitaire, les doctrines, et la formation.
Mais l’ambition ne se limite pas à moderniser les équipements. Le drone est aussi, et surtout, un outil de transformation tactique. « La question n’est pas tant le drone que la capacité à employer les drones et donc à avoir de nouvelles tactiques qui ne sont pas seulement les tactiques d’avant », insiste Pierre Schill. Il va plus loin : « Nos unités dans l’avenir seront organisées autour de ces drones », à l’instar de la manière dont la mitrailleuse avait redéfini les groupes de combat en 14-18.
Un exemple concret illustre cette mutation : le 1er régiment d’infanterie de marine (1er RIMa) expérimente un escadron de reconnaissance basé sur l’usage intensif de drones, avec des modes opératoires repensés, de nouvelles missions, et une autonomie accrue. « Ils étudient comment un escadron à partir de drones va pouvoir remplir mieux, plus vite, plus loin, ou à la place des autres escadrons du régiment, ses missions. »
Une révolution capacitaire à géométrie variable
La logique de massification est bien là. Un rapport parlementaire propose même d’attribuer un drone FPV à chaque élève-officier dès son entrée à l’école, afin de favoriser l’expérimentation personnelle et la prise en main tactique. Pour le général Schill, cela ne fait aucun doute : la guerre de demain sera saturée de robots autonomes, et « ce fait, nous devons absolument le prendre en compte ».
Cette massification, toutefois, ne peut être uniforme. « Le terme de drone est un terme générique. Le plus petit, c’est le Black Hornet, qui ne fait même pas une centaine de grammes. Le plus gros, c’est 3 tonnes. Évidemment, nous ne pouvons pas avoir la même stratégie d’acquisition. » L’agilité reste le maître mot : « Ce que nous sommes en train d’acquérir aujourd’hui, en 2022, nous ne savions pas que ça existerait ou que ce serait disponible à ce coût. »
Interrogé sur la traduction concrète des moyens alloués dans la loi de programmation militaire (LPM), le général est catégorique : « Oui, et même plus. » Il assume une évolution non seulement des capacités, mais du modèle même d’acquisition, plus ouvert, plus réactif, en lien avec des PME et des ETI innovantes. « Il est bon que ce chemin ne soit pas complètement écrit et figé aujourd’hui », conclut-il.
La mue est engagée. Reste à la généraliser, sans perdre en cohérence ni en efficacité.