Les États-Unis redéfinissent, encore une fois, les règles du jeu dans l’industrie de défense. Ce n’est pas la première fois que la Silicon Valley et ses start-ups investissent le secteur militaire. Palantir, par exemple, collabore depuis longtemps avec les agences de renseignement et a déjà décroché des contrats majeurs. Ce qui est nouveau, c’est l’ampleur et la nature de son dernier contrat avec le Pentagone : la société de logiciels est devenue maître d’œuvre d’un projet militaire d’envergure avec le système Titan (Tactical Intelligence Targeting Access Node).
Pourtant, la véritable révolution ne vient pas seulement de Palantir, mais plutôt de l’émergence de jeunes entreprises comme Anduril ou Shield AI. Ces start-ups ne se contentent pas de fournir des solutions annexes, elles réécrivent littéralement les règles en prenant des positions stratégiques sur des projets militaires de premier plan.
Quand les start-ups réinventent l’industrie de défense
L’exemple d’Anduril est frappant. Fondée par Palmer Luckey (co-fondateur d’Oculus), l’entreprise vient de remporter un contrat de 642 millions de dollars avec les Marines pour développer des systèmes anti-drones sur leurs bases. Sélectionnée parmi dix concurrents, elle s’est imposée grâce à sa solution Lattice, une plateforme d’IA capable de détecter, neutraliser et coordonner les systèmes anti-drones de manière autonome.
Ce n’est pas un coup d’essai : en novembre dernier, Anduril avait déjà décroché un contrat de 200 millions de dollars pour le système mobile de défense aérienne (MADIS) des Marines. La stratégie est claire : capitaliser sur la modularité et la flexibilité des solutions basées sur l’IA.
Pour Palmer Luckey, cette approche est indispensable face à l’évolution rapide des menaces : « Nous n’avons pas le temps de continuer comme avant. »
Cet état d’esprit se reflète aussi dans la stratégie de financement de l’entreprise. Anduril prépare une levée de fonds de 2,5 milliards de dollars, doublant ainsi sa valorisation à 30 milliards. Le message est clair : devenir un acteur incontournable, capable de concurrencer les géants historiques comme Lockheed Martin ou Raytheon.
Shield AI : l’IA au cœur de la bataille aérienne
De son côté, Shield AI prend la défense par les airs. La start-up californienne développe des drones autonomes capables de mener des missions complexes sans intervention humaine. Elle a décroché des contrats stratégiques avec l’US Air Force pour équiper les loyal wingman de capacités d’IA avancées.
Comme Anduril, Shield AI veut réinventer les approches traditionnelles de l’aviation militaire en intégrant directement l’autonomie dans la conception des systèmes. Pour l’US Air Force, miser sur de tels acteurs est devenu une priorité pour maintenir la supériorité aérienne face aux nouvelles menaces, notamment chinoises.
Et l’Europe ? En France ?
La défense européenne reste dominée par des grands groupes historiques, avec des processus d’acquisition souvent lourds et des cycles d’innovation longs. Des acteurs majeurs comme Airbus, Thales ou Safran continuent de jouer un rôle central, mais peinent parfois à intégrer rapidement des technologies de rupture.
Pourtant, l’Europe dispose d’un vivier de compétences et d’innovation. De nombreuses jeunes entreprises développent des solutions prometteuses dans des domaines clés tels que la robotique, la lutte anti-drones, l’intelligence artificielle au service des opérations militaires, l’impression 3D ou la guerre des mines. Ces start-ups, porteuses de technologies de pointe, rencontrent cependant des difficultés pour s’imposer dans les grands projets de défense, souvent freinées par des procédures administratives complexes et une culture d’innovation prudente.
Comme le disait Winston Churchill : « Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne nous prenne par la gorge. »
L’écosystème reste encore trop cloisonné. Les start-ups peinent à trouver leur place dans les projets structurants, notamment parce que les grandes entreprises privilégient souvent des programmes internes ou des partenariats déjà établis. Pour ces industriels, l’enjeu est d’ouvrir davantage leur modèle d’innovation, en intégrant des jeunes pousses capables de répondre aux défis technologiques de demain.
Pourquoi ne pas changer de méthode ?
Les États-Unis montrent la voie en combinant l’agilité des start-ups avec la robustesse des industriels historiques. Il ne s’agit pas de remplacer les grands groupes mais de créer des synergies intelligentes. Les projets hybrides portés par des consortiums start-ups/industriels permettent d’accélérer les cycles d’innovation tout en sécurisant les approvisionnements critiques.
En France, il est impératif d’adopter cette approche si nous voulons rester compétitifs. Les industriels historiques doivent apprendre à collaborer avec des jeunes pousses, non seulement pour intégrer les dernières avancées en matière d’IA et d’autonomie, mais aussi pour répondre plus rapidement aux besoins des forces armées.
La souveraineté technologique par l’agilité
Les succès d’Anduril et de Shield AI montrent que l’agilité et l’innovation sont devenues des critères stratégiques pour les projets de défense. L’Europe doit impérativement suivre cette dynamique, non pas en copiant le modèle américain, mais en l’adaptant à nos contraintes et à nos priorités.
Ouvrir les grands programmes d’armement aux start-ups, favoriser les collaborations transversales et revoir les processus d’acquisition sont autant de pistes pour renforcer notre souveraineté technologique.
Ne pas agir, c’est risquer de rester en marge d’une révolution industrielle déjà en marche. Pour faire face aux défis futurs, il faut accepter de sortir des schémas établis et miser sur l’innovation, même si cela implique de bousculer les certitudes. L’avenir de la défense – européenne – passe par l’agilité et la coopération entre grands groupes et start-ups.
Photo © Anduril