La Belgique pourrait bien se retirer du projet SCAF (Système de combat aérien du futur) d’ici fin 2025. C’est en tout cas ce qu’a laissé entendre le ministre belge de la Défense, Theo Francken, lors d’une intervention à l’Atlantic Council. Visiblement frustré par la division des projets européens de défense, il a notamment pointé du doigt l’existence de deux programmes concurrents d’avions de sixième génération.
Aujourd’hui, l’Europe est partagée entre deux grandes initiatives. D’un côté, le SCAF, piloté par la France, l’Allemagne et l’Espagne, vise à développer un chasseur de nouvelle génération pour succéder aux Rafale et aux Eurofighter. De l’autre, le GCAP (Global Combat Air Programme), conduit par le Royaume-Uni, l’Italie et le Japon, suit une trajectoire similaire avec un projet distinct.
Pour Theo Francken, cette situation est loin d’être idéale. Selon lui, maintenir deux projets en parallèle est coûteux et peu cohérent. « On parle d’un investissement de 50 milliards d’euros pour chaque programme alors que les débouchés en termes de vente restent limités. C’est absurde », a-t-il déclaré. Le ministre plaide pour une fusion des deux initiatives afin de garantir une véritable compétitivité internationale.
« Tout le monde parle de défense européenne intégrée, mais sur un projet aussi crucial pour notre sécurité collective, on se disperse. C’est une mauvaise illustration de l’intégration européenne », a-t-il ajouté.
F-35 : un choix qui divise
Cette position intervient alors que la Belgique vient d’annoncer l’acquisition de 11 nouveaux F-35A auprès de Lockheed Martin, portant ainsi sa flotte à 45 appareils. Depuis 2018, le choix de l’avion américain pour remplacer les F-16 fait débat, notamment en France.
Eric Trappier, PDG de Dassault Aviation, a notamment exprimé son opposition à une intégration belge dans le SCAF, estimant que l’engagement de Bruxelles avec les États-Unis va à l’encontre de l’idée d’autonomie stratégique européenne. « Pourquoi devrais-je donner du travail aux Belges qui ont choisi les F-35 ? », a-t-il lancé lors d’une audition au Sénat en 2023. Pour lui, l’objectif du SCAF est de renforcer la souveraineté européenne, et non de diluer cette ambition en intégrant des partenaires ayant fait des choix divergents.
Cependant, cette ligne dure n’est pas partagée par tous. Olivier Andriès, directeur général de Safran, se montre plus conciliant. Selon lui, la Belgique a toute sa place dans le programme, malgré son acquisition de F-35. « L’achat de F-35 ne doit pas être un frein à sa participation. La Belgique a des compétences industrielles reconnues qui pourraient renforcer le projet », a-t-il déclaré lors d’un déplacement en Belgique.
La position de Ludivine Dedonder, ex-ministre de la Défense
Ludivine Dedonder, ex-ministre belge de la Défense, avait également réagi aux propos d’Eric Trappier, qu’elle jugeait contre-productifs pour l’Europe de la défense. « Cela me fait sourire car cette déclaration ne m’étonne pas vraiment. Ce genre de discours a freiné pendant des années la construction d’une défense européenne cohérente », avait-elle affirmé sur les ondes de La Première.
Elle déplorait qu’un industriel puisse se permettre d’influencer les choix politiques belges. « M. Trappier, tout puissant PDG qu’il soit, ne va pas m’indiquer la manière dont je dois agir », avait-elle ajouté. Pour elle, les entreprises belges du secteur aéronautique, reconnues pour leur savoir-faire, souhaitent apporter une réelle valeur ajoutée et non se contenter d’un rôle subalterne.
Ludivine Dedonder a également rappelé que les entreprises belges ne veulent pas se contenter de « miettes » mais cherchent à apporter une plus-value industrielle. Elle soulignait l’importance de renforcer l’Europe de la défense par des coopérations équilibrées, loin des logiques d’exclusion.
Le statut d’observateur en question
Actuellement, la Belgique dispose d’un statut d’observateur au sein du programme SCAF. Ce statut, obtenu en 2024 après plusieurs négociations, permet à Bruxelles de suivre les avancées du projet sans pour autant s’engager pleinement dans son développement industriel. Cependant, cette position reste fragile.
Theo Francken a également précisé lors de son intervention à l’Atlantic Council que la Belgique devra décider d’ici la fin de l’année si elle souhaite rejoindre pleinement le programme SCAF. « Nous devons décider avant la fin de l’année [si nous adhérons pleinement le programme], et j’ai des doutes », a-t-il reconnu.
Le ministre considère que l’absence de coordination entre les projets SCAF et GCAP crée une incertitude quant aux bénéfices potentiels pour la Belgique. D’autant plus que les récents investissements dans les F-35 renforcent la posture américaine de la composante aérienne belge, au risque de limiter l’intérêt stratégique de rejoindre le SCAF.
Une intégration européenne incertaine
Le débat autour de la participation belge au SCAF traduit des tensions plus profondes sur la manière d’organiser la défense européenne. Certains prônent une souveraineté militaire fondée sur des coopérations industrielles solides, tandis que d’autres estiment que les réalités économiques imposent de privilégier les partenariats déjà engagés.
Theo Francken, pour sa part, plaide pour davantage de pragmatisme. Pour lui, conserver deux projets concurrents alors que les besoins militaires convergent est une perte de ressources. « Si l’Europe veut s’affirmer sur le marché international et garantir sa propre sécurité, il est essentiel de fusionner ces programmes », insiste-t-il.