Le premier semestre 2025 a présenté un contraste marqué pour l’industrie française de défense (BITD). Après un démarrage freiné par des contraintes budgétaires, les commandes ont fortement accéléré à partir du printemps. Grâce à la mobilisation de l’État et de la Direction générale de l’armement (DGA), les engagements ont retrouvé un rythme conforme aux ambitions de la loi de programmation militaire (LPM) 2024–2030.
Ce décalage initial trouve son origine dans la censure du gouvernement Barnier, intervenue fin 2024. Ce contexte a repoussé l’adoption du budget 2025 au mois de février. Faute de crédits disponibles, la DGA a attendu le mois de mars pour relancer les commandes. « L’année budgétaire a commencé le 2 mars, et non le 2 janvier », a rappelé Sébastien Lecornu lors de son audition au Sénat ce 1er juillet. Ce glissement de deux mois a ralenti les décisions, et les entreprises, en particulier les PME, ont exprimé leurs doutes.
Relance des commandes militaires avec 4 milliards engagés au premier semestre
Malgré ces difficultés, l’administration a su réagir rapidement. Dès avril, les premiers déblocages de crédits ont permis de redonner de l’élan. À la fin juin, la DGA avait engagé près de 4 milliards d’euros de commandes. Les paiements atteignaient 12 milliards d’euros, un niveau supérieur à celui observé l’année précédente à la même période. Le ministre des Armées a souligné ce redressement : « L’ensemble des retards du premier semestre ont été largement rattrapés. »
Les industriels de premier rang ont retrouvé leur place dans les flux de commandes. Thales (725M€), Dassault Aviation (318M€), KNDS (300M€), Naval Group (168M€), Airbus (89M€), Safran (128M€), ArianeGroup (106M€), MBDA (69M€) ou encore Arquus (11M€) ont reçu des engagements portant sur des programmes clés : le Rafale F5, les véhicules SCORPION, les munitions AASM, les satellites SYRACUSE, ou encore les sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) de nouvelle génération Barracuda.
Les petites et moyennes entreprises ont également bénéficié de cette reprise. L’État leur a attribué plus de 300 millions d’euros de commandes directes. Aura Aero, par exemple, travaille sur un prototype de drone, le ENBATA. Sabena Technics, de son côté, fournit un avion banc d’essai destiné aux expérimentations aériennes. Ces projets montrent l’importance du tissu industriel dans l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement.
Crédits de défense en hausse, mais la filière industrielle reste sous pression
Le budget voté pour 2025 s’élève à 50,5 milliards d’euros, dont 31 milliards dédiés aux équipements. Cette hausse de 3,3 milliards par rapport à 2024 illustre la volonté de l’État de soutenir l’effort de défense. Sébastien Lecornu a rappelé son engagement : « Est-ce que le ministère des Armées sera épargné ? Oui, au sens où la programmation militaire telle que je l’ai présentée devant vous […] c’est l’engagement que j’ai pris. »

Cette dynamique ne doit pas occulter les contraintes encore présentes. Les reports de charges restent élevés, avec 8 milliards d’euros recensés fin 2024. Ces retards de paiement pèsent sur les marges disponibles pour financer de nouveaux équipements. Le ministre a annoncé vouloir réduire ces reports, afin d’éviter un effet d’engorgement en début d’année.
La pression sur les chaînes industrielles reste forte. « On n’a pas des filières aussi bien organisées qu’on le voudrait », a reconnu Sébastien Lecornu, en soulignant que la visibilité offerte aux grands groupes ne profite pas toujours aux sous-traitants. Il a également évoqué les exigences croissantes des clients internationaux, qui attendent des délais de livraison plus courts.
La DGA en appui terrain pour sécuriser les capacités critiques
Pour accompagner les entreprises, la DGA mène chaque année plus de 1 000 visites sur le terrain. Elle identifie les fragilités, aide à sécuriser les capacités critiques et soutient les montées en cadence. Environ 1 000 sociétés sur les 26 000 fournisseurs du ministère jouent un rôle stratégique. Elles concentrent une partie du savoir-faire nécessaire à la souveraineté technologique française.
La suite de l’année s’annonce chargée. Plusieurs programmes majeurs restent en attente de validation : nouvelles commandes de Rafale, missiles de nouvelle génération, frégates de défense et d’intervention (FDI), lancement du porte-avions de nouvelle génération (PANG). Une actualisation de la LPM est en réflexion. Le ministre a évoqué des « mises à jour » plutôt qu’un nouveau texte, afin d’adapter certaines priorités aux circonstances. Il a cité la guerre électronique ou les capacités de frappes dans la profondeur parmi les domaines à renforcer, sans que cela implique des budgets massifs.
Dans un contexte international instable et face aux attentes exprimées par les partenaires de l’Otan, la France entend rester fidèle à sa trajectoire. Sébastien Lecornu l’a affirmé avec détermination : « Repartons de ce que nous voulons faire, et derrière cela donnera quelque chose. […] On est quand même la France. »
L’industrie reste mobilisée, les commandes reprennent, et la programmation militaire suit son cours. Pour durer, cette dynamique devra s’appuyer sur un pilotage stable, une meilleure visibilité pour les entreprises et une capacité collective à transformer les ambitions en résultats tangibles.