Un rapport parlementaire propose la création d’une Académie de lutte contre les manipulations de l’information
Dans leur rapport d’information sur la stratégie d’influence publié aujourd’hui, les députées Natalia Pouzyreff (Ensemble) et Marie Récalde (PS) avancent une proposition simple mais structurante : créer une Académie de lutte contre les manipulations de l’information. Une mesure concrète pour mettre fin à la dispersion actuelle des initiatives publiques et renforcer la résilience collective face à des attaques informationnelles de plus en plus nombreuses et ciblées.
Entre 2023 et début 2025, VIGINUM, le service en charge de la vigilance face aux ingérences numériques étrangères, a détecté 77 opérations de désinformation russes. Ces campagnes ont notamment visé les élections législatives, les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 ou encore la présence française en Afrique, en exploitant les failles de nos écosystèmes numériques. Selon un rapport du Service européen pour l’action extérieure publié en mars dernier, la France est – après l’Ukraine – le pays le plus visé en Europe par des tentatives de manipulations venant de l’étranger, notamment de Chine et d’Iran, en plus de la Russie.
Former, sensibiliser, fédérer : les missions d’une future académie
Cette évolution inquiète les responsables publics. Lors de son audition au Sénat fin 2024, Marc-Antoine Brillant, chef de VIGINUM, a insisté sur le fait que « cette menace est intime parce qu’elle nous met à l’épreuve en nous imposant de l’humilité et, demain, probablement, des réponses qui ne relèveront pas uniquement du champ régalien, mais davantage de celui de l’éducation, de l’information et d’une meilleure collaboration avec la société civile ». Il a également rappelé que ces campagnes prennent aujourd’hui des formes variées : usurpation d’identités d’institutions officielles (DGSI, SGDSN, CIA, médias), animation de réseaux de faux comptes amplifiés par des influenceurs, et production de contenus générés par intelligence artificielle (IA).
Face à cette complexité croissante, la création d’une académie vise à apporter une réponse structurée. Elle aurait trois missions : produire des ressources pédagogiques adaptées à différents publics (enseignants, collectivités, entreprises, journalistes), proposer des formations pratiques, notamment en investigation en sources ouvertes (OSINT), et accompagner les partenaires internationaux dans une logique de coopération. L’objectif est de mutualiser les efforts existants, de leur donner de la lisibilité, et de proposer un point d’entrée unique à tous ceux qui souhaitent s’impliquer dans cette lutte.
Ce projet ne sort pas de nulle part. Lors de son audition à l’Assemblée nationale début 2025, Claire Benoit, cheffe du bureau coordination et stratégie à VIGINUM, a confirmé que le service travaille déjà à cette idée : « Nous avons l’ambition de créer une académie à l’horizon 2025-2026 dans le but d’organiser et de développer nos initiatives de sensibilisation. Nous visons non seulement les jeunes publics, prioritaires en tant que futurs citoyens, mais aussi d’autres publics cibles comme les entreprises, le secteur économique et les élus. »
Donner aux territoires et aux élus les moyens d’agir
Avec 34 875 communes en France, un maillage dense d’acteurs locaux, de collectivités et d’associations est confronté quotidiennement aux enjeux de désinformation sans toujours disposer des outils nécessaires. L’académie leur offrirait une porte d’entrée claire, un appui, des formations, et un espace de coordination. Elle permettrait aussi d’instaurer un langage commun entre les différents acteurs du champ – là où, comme le rappellent les députées, la cybersécurité a su créer un écosystème solide et cohérent grâce au travail de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI).
L’un des volets importants du projet serait également la création d’un référent dédié aux élus, capable d’informer les parlementaires sur les campagnes en cours et de répondre à leurs sollicitations. Dans un contexte où plusieurs d’entre eux ont déjà été ciblés par des attaques coordonnées sur les réseaux sociaux, ce lien opérationnel serait particulièrement utile, notamment en période électorale ou de crise.
L’idée n’est pas de transformer chaque citoyen en agent de contre-influence ni de centraliser le débat public. Il s’agit plutôt de permettre à chacun de mieux comprendre ce qui se joue, d’identifier les techniques employées et de savoir vers qui se tourner pour se former ou signaler un problème. Comme le soulignait encore Marc-Antoine Brillant : « Nous souhaitons pouvoir mieux outiller la société civile et le monde académique avec des outils qui permettent de détecter, par exemple, des phénomènes inauthentiques. »
Restaurer la distinction entre le vrai et le faux
Ce projet se veut sobre mais ambitieux. Une structure légère, lisible, et capable d’animer un réseau d’acteurs publics et privés face à un phénomène persistant. Il ne s’agit pas de tout résoudre, mais d’apporter une réponse cohérente à un enjeu devenu transversal et durable. Comme l’écrivait Hannah Arendt dans Les origines du totalitarisme, « le sujet idéal du gouvernement totalitaire n’est pas le nazi convaincu ou le communiste dévoué, mais les personnes pour qui la distinction entre la réalité et la fiction et la distinction entre vrai et faux n’existent plus ».
Lutter contre cette confusion exige plus qu’un service d’alerte ou quelques outils techniques. Cela demande une politique publique lisible, ouverte, capable d’associer durablement la société civile. La création d’une académie en est un premier pas. Reste à le concrétiser.